Le cas du baobab

Par Claude Timmerman, ancien conseiller du Ministre du développement rural du Togo

Durant des siècles, des navigateurs, des géographes, des explorateurs, des voyageurs, des marchands ou des missionnaires, ont sillonné la planète en tous sens à la demande des rois, empereurs et papes et ont permis depuis Vasco de Gamma ou Yermak – pour ne citer, en occident, que ceux-là - d’acquérir une connaissance assez précise de notre planète : des  découvertes éparses et successives, faites par la vertu de l’observation, et qui se sont traduites par des multitudes de cartes, de récits, de descriptions géographiques et ethnologiques, de croquis, etc...

Les bibliothèques les plus illustres en sont pleines...

Mais il faut croire que de nos jours le progrès aidant, les techniques les plus nouvelles d’investigation en matière de cartographie, qui remplacent l’œil, l’alidade et la jumelle, font oublier ces siècles d’observations rangées apparemment aujourd’hui au rayon des curiosités.

L’observation directe et la collation des informations qui en découle sont devenues obsolètes !

C’est que les outils “modernes” permettent de travailler plus vite et avec plus de précision et de découvrir des éléments jusque-là ignorés!

Il faut cependant admettre que cela réserve quelques surprises, comme le déclare de façon péremptoire, et  sans rire, la FAO dans l’exemple qui est montré ici:

Les baobabs, ici au Sénégal, ne sont pas aisément repérables avec les outils classiques de la cartographie.” (sic!)[http://l.leparisien.fr/Mm6u-K1qr]


Et de justifier ainsi qu’on aurait aujourd’hui “découvert” grâce aux moyens d’investigation nouveaux, des centaines de millions d’hectares de forêts jusqu’ici “ignorées”!

Ne pas pouvoir repérer aujourd’hui des baobabs fait peser de grandes craintes sur l’avenir d’autres petites espèces végétales menacées tel que le séquoia géant d’Amérique... qui ont également dû échapper à la sagacité des experts de la FAO...

Cela étant le Baobab est clairement malmené, sinon ignoré, de ces technocrates peu cérébrés et visiblement quelque peu incultes notamment en matières botanique, historique et ethnologique; ce qui est particulièrement inquiétant pour des gens “experts reconnus” en matière d’agri-culture...

Un peu d’Histoire

Repéré, notamment par des graines, dans des tombes égyptiennes de plus de deux mille ans av JC, par les archéologues, le baobab y est décrit pour la première fois dans l’Ancien Empire.

En 1354 dans ses récits de voyages, Ibn Battuta, célèbre explorateur arabe, décrit cet arbre découvert dans le bassin du Niger et indique que les indigènes utilisent ses graines tant en farine qu’en décoction contre la fièvre. (Il semble que "ba hobab" provienne d’ailleurs de l’arabe "bu hibab", que l’on traduit par "fruit aux nombreuses graines".)

En 1592, le baobab fut décrit pour la première fois par un européen, Prospero Alpino, dans son ouvrage de botanique “De plantis Aegypti liber (Le Livre des plantes d’Égypte), nommé alors "ba hobab". Le nom en sera contracté en baobab au XVIIèmesiècle...

Toutes les explorations françaises et britanniques, préludes à la colonisation, évoqueront cet arbre en Afrique...

En 1750, Michel Adanson (1727-1806) a découvert une autre espèce de ces arbres, que l'on nommait alors "l'arbre aux calebasses" dans les îles du Cap-vert et au Sénégal, où il était commis de la Compagnie des Indes en poste à Saint-Louis du Sénégal durant cinq années. Ce botaniste français fut le premier à en publier une description botanique systématique exhaustive, ce qui amènera Linné, comme Jussieu, à le préférer à Alpino pour le désigner comme découvreur de l’espèce, et d’ailleurs du genre qui lui sera ensuite attaché : Adonsonia

On en connaît aujourd’hui huit espèces à travers l’Afrique, dont certaines ont été importées jusqu’en Australie...

Le pouvoir médicinal et l’usage nutritif de ces graines, de la taille d’une fève, est toujours bien connu...

Les fruits sont connus dans la littérature sous le nom de “pain de singe”. Tout est utilisé localement dans cet arbre, les feuilles, les fibres (textile), etc...[http://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/botanique-baobab-arbre-pharmacien-arbre-vie-666/page/2/]

Mais il faut croire que tout cela n’est pas parvenu à la connaissance de ces technocrates qui s’éloignent, il est vrai, le moins souvent possible de leurs bureaux feutrés romains, ou des grands hôtels lors de leurs déplacements...

L’obscurantisme des experts n’a souvent pas d’autres causes.

Je me souviens d’une anecdote, vécue, particulièrement savoureuse. Lors de son passage au Togo, au début des années 70, un expert de la FAO avait fait une conférence, à laquelle j’étais convié, en tant que conseiller du ministre de l’agriculture, sur “le devenir des céréales locales et l’intérêt de la systématisation de leur culture”. Un sujet particulièrement important pour le nord du pays qui est en pleine bordure sahélienne.

A cet effet il avait très justement évoqué le cas du fonio, une céréale aujourd’hui récemment mise à la mode en occident par les “nutritionnistes” car elle est sans gluten. Elle était jusque là quasi ignorée ailleurs que dans sa zone de culture traditionnelle et ancestrale. Le fonio produit de très petites graines de l’ordre de 1 à 2 mm !












C’est dans doute pourquoi, à Lomé, à huit cents kilomètres au sud de sa zone de culture, l’expert sans sourciller avait exposé, en démonstration durant sa conférence comme étant du fonio, un panier de graines de... baobab ! C’est vrai qu’il faut au moins être expert pour arriver à confondre ! (Ou si l’on préfère, il ne faut surtout pas être expert pour pouvoir faire la différence !)


Par charité chrétienne, je ne décrirai pas l’hilarité de l’assistance. Aujourd’hui, ce sont donc des peuplements forestiers de baobab qui auraient « disparu » des radars ! Décidément, la FAO et les baobabs ne font pas bon ménage !