L’arrivée de la pénicilline et des sulfamides dans la thérapeutique fut une révolution : on ne mourait plus d’infection. Devant un tel succès, leur usage se répandit très largement. Puis apparurent les premiers échecs et l’on s’aperçut que des bactéries devenaient résistantes, par mutation ou par sélection naturelle. Les plus coriaces, minoritaires jusque-là, avaient le champ libre pour se multiplier à souhait.


L’industrie pharmaceutique développa de nouvelles molécules et perfectionna celles issues du groupe initial des béta lactamines, auquel appartiennent les pénicillines, permettant ainsi de contourner les défenses des bactéries et de gagner à nouveau la partie. Mais progressivement de nouvelles résistances sont apparues, et nous sommes aujourd’hui en présence de souches qui ont le champ libre pour se développer n’étant plus sensibles aux antibiotiques mis à notre disposition par l’industrie pharmaceutique.


L'usage souvent trop fréquent d’antibiotiques dans les pays riches et des doses mal adaptées ou insuffisantes dans les pays pauvres favorisent l’apparition de souches résistantes. Les affections liées à ces bactéries résistantes ne constituent pas encore la majorité des infections, heureusement, mais sont extrêmement graves et de plus en plus souvent mortelles.


La situation est devenue suffisamment préoccupante au niveau mondial pour que l’OMS se saisisse du problème et émette un rapport et des recommandations destinées à essayer d’éradiquer ces résistances :

  • éviter le recours systématique aux antibiotiques lors des épisodes fébriles car de nombreuses infections sont d’origine virale, (sans pour cela en exclure l’usage si nécessaire),

  • - adapter l’antibiotique à la souche bactérienne,

  • faire des traitements suffisamment longs,

  • dépister les porteurs de souches résistantes afin de les isoler de les traiter,

  • inciter les dirigeants à investir dans la recherche dans un domaine où l’industrie pharmaceutique semble marquer le pas (marché trop restreint pour l’instant pour justifier des investissements lourds ?).


Souhaitons que ces mesures aboutissent, mais elles seront sans doute insuffisantes si elles ne sont pas complétées par d’autres d’ordre plus général, comme celles qui consisteraient à éviter les univers concentrationnaires de l'élevage moderne.


En effet, les élevages en batterie sont de grands pourvoyeurs d’épidémies et favorisent donc l’usage immodéré des antibiotiques. Aux États-Unis, des chercheurs de l’université de Yale ont publié dans la revue « mBio », une étude qui révèle que le fumier des vaches laitières contenait à l’heure actuelle un nombre important de bactéries possédant des gènes de résistance aux antibiotiques utilisés pour traiter les infections du bétail. Ce fumier étant utilisé dans l’agriculture, on estime que le développement de certaines bactéries pourrait s’avérer pathogène pour l’homme, et que même des bactéries bénignes pourraient transférer leurs gènes résistants à des agents pathogènes dans le sol ou aux aliments.


Au niveau humain la promiscuité, souvent hélas inévitable (habitat, transports en commun, etc.) accélère le processus de contamination et de sélection des germes. Peut-être faudra-t-il aussi revoir la conception même de nos hôpitaux qui autrefois pavillonnaires, sont devenus de plus en plus centralisés et donc fragilisés en matière d’infectiologie...


Mais il serait nécessaire d’aller au delà de ces recommandations, envisager que les antibiotiques ne sont peut-être pas la seule arme contre les infections, et s’intéresser à d’autres moyens de lutte contre les bactéries comme par exemple la phagothérapie.


Cette thérapeutique fut découverte au début du XXe siècle par un chercheur anglais, Frederick W.Twort, et un chercheur franco-canadien, Félix d’Herelledes, qui découvrirent que des colonies bactériennes pouvaient être détruites par des virus propres à ces bactéries. Les premières applications de la phagothérapie ont souvent manqué de fiabilité, et après la découverte des antibiotiques dans les années 40 la plupart des scientifiques occidentaux cessèrent de s’intéresser à cette thérapie. Cependant après la guerre de 40 et le début la guerre froide les chercheurs des pays d’Europe de l’Est et de Russie continuèrent à s’y intéresser et perfectionnèrent ce type de traitement avec semble-t-il des résultats très encourageants. Actuellement seules la Pologne et la Géorgie possèdent des établissements poursuivant les recherches sur la phagothérapie et son utilisation en médecine humaine.


Les résistances bactériennes aux antibiotiques et le développement des infections surtout nosocomiales, sont depuis longtemps évoqués dans le milieu médical, espérons que ce récent rapport de l’OMS permettra de stimuler une prise en charge globale, non plus uniquement médicale, de ce qui n’est pour l’instant qu’un problème, mais qui peut devenir un fléau au niveau mondial.


Dr. J-M Lacroix, d’après « Antibiotiques, un ami qui ne vous veut pas que du bien » paru dans Bd Voltaire le 03/05/2014