Le rapport de nos sociétés avec la nature a bien évolué ces dernières années. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il ne peut y avoir de développement durable sans respect des équilibres naturels. Paradoxalement on demande maintenant aux techniques médicales de libérer l’homme de lois naturelles vécues comme frustrantes ou injustes, quitte à oublier toute prudence en la matière.


Le médecin doit-il ignorer la nature et accorder à tout un chacun qui pourra se l’offrir, la possibilité de satisfaire le moindre de ses désirs sous prétexte d’éviter une frustration ?


Doit-il satisfaire toute demande, même celle qui s’écarte de l’équilibre naturel de la santé, et devenir un exécutant au service de « clients » capricieux sous prétexte que la science le permet ?


Le médecin doit-il céder aux volontés des « j’y ai droit » sans se demander si de telles demandes ne perturbent pas le fondement même de la société dont ils jouissent?

Il est mal vu depuis quelques années de vouloir respecter les processus physiologiques, de ne vouloir s’en tenir qu’au fragile équilibre naturel qui de siècles en siècles nous permet d’exister encore. Alors au lieu de les inciter à préserver l’équilibre naturel de la santé, on demande aux médecins de satisfaire les désirs d’une clientèle qui, imbue de son ego surdimensionné, estime normal de bousculer nos règles de vies, au nom de projets dits sociétaux sensés rendre légitimes les caprices d’enfant gâté de certains de nos concitoyens.


Il est même malséant de récuser ces phénomènes culturels qui pourtant ne valorisent que l’ego au détriment de la société, et les droits aux dépens des devoirs.


Le médecin devra-t-il alors être complice de toutes ces fantasmagories « contre nature », pour satisfaire les attentes de ceux, qui au nom de la liberté individuelle, n’hésiteraient pas à demander à la science de modifier des règles ancestrales qu’ils jugeraient liberticides,  pour accéder à des désirs personnels ?


Devons-nous céder au caprice d’une femme ménopausée qui veut un enfant, ou à celui de celle qui veut enfanter sans relation sexuelle ?


Affranchir l’humain des règles naturelles peut être parfois un progrès, comme certaines greffes d’organes, ou une curiosité scientifique sans incidence majeure si cela reste marginal, comme le changement de sexe (qui n’est qu’apparence car le génome lui ne change pas), mais cela peut aussi ouvrir la voie à des concepts totalitaires de surhommes et de sous-hommes


N’ayant d’autre modèle que la nature et son évolution, évitons de trop nous en éloigner tant que nous ne maîtrisons pas parfaitement toutes les conséquences d’une telle mutation. Méfions-nous des apprentis sorciers qui pensent pouvoir changer le monde et fonder un nouvel ordre social sans avoir à se soucier d’un quelconque ordre moral.


Jusqu’où peut-on dépasser la nature ? Cette notion varie en fonction de l’évolution de la société, mais cette évolution ne peut être que lente pour lui laisser le temps de digérer le changement, de s’adapter.


Les mœurs évoluent, l’éthique varie, puis la morale s’adapte, mais cela nécessite du temps.


Nous sommes bien loin de la pratique quotidienne du médecin, mais si nous n’y prenons garde, en privilégiant l’exploit technologique au dépend de l’éthique, en faisant fi de l’environnement moral, psychologique et physiologique de l’humain, nous risquons de bouleverser un équilibre fragile, avant même d’avoir défini et validé les critères de ce que pourrait être une nouvelle société.


Les médecins devront-ils attendre les effets pervers de ces mutations et se désoler de ne pouvoir qu’en réparer les dégâts, physiologiques et psychologiques, pour proposer des mesures de prévention, comme nous essayons de le faire aujourd’hui sans succès, pour lutter contre l’obésité ou d’autres facteurs de risque ?


Parce qu’ils sont en première ligne pour juger les effets pervers qu’engendrent le non-respect des équilibres naturels, espérons qu’ils seront écoutés lorsqu’on se préoccupera du développement durable non pas uniquement des forêts, mais aussi de l’homme.


Sans cela ils risquent de se voir relégués au rang de simples réparateurs disciplinés.


Pourtant, lorsque des pollutions industrielles modifient l’équilibre naturel des écosystèmes, entraînant parfois des conséquences totalement insoupçonnées, nous sommes les premiers à réclamer la disparition ou la limitation des interventions humaines susceptibles de modifier l’équilibre naturel, alors pourquoi ne pas le faire en médecine ?


Ce serait oublier que l’humain est un fragment de cette nature dont il ne peut s’extraire, que son fonctionnement physiologique et son génome ont lentement évolués pour rester en harmonie avec l’environnement, et que tout démarche qui tendrait à trop l’en éloigner ne pourrait être que suicidaire.



J.M. Lacroix