La révision des textes de loi de bioéthique début 2011 n'a pas entraîné de grands changements, et c'est heureux !

Certains attendaient sans doute des décisions en matière de levée de l'anonymat du don de gamètes ou de la gestation pour autrui, mais nos législateurs ont su se montrer prudents. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu'on s'attaque à des problèmes que jusqu'à présent l'humanité n'avait encore jamais eu à résoudre. Il est urgent d'attendre ; ces problèmes sont extrêmement complexes, font intervenir des données que l'on avait en partie occultées tant l'exploit technique nous paraissait être un progrès pour l'humanité.

Cependant on peut se poser quelques questions de base.

Aussi grand soit le désir de maternité que puisse éprouver une femme, accepterait-elle de se faire faire un enfant par un individu laid, stupide, ou tout simplement dont l'aspect créerait en elle un  sentiment de rejet ? Je ne le crois pas.

Alors pourquoi accepterait-elle de se faire féconder par le sperme d'un individu dont elle ignore tout, mais qui sera responsable de la moitié des gènes de son enfant et donc d’une partie de sa destinée biologique ?

Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

Le sperme inséminateur même anonyme et lyophilisé ne permet pas uniquement le développement d’un oeuf à partir d'un ovocyte, mais fait bénéficier cet embryon du potentiel génétique de son père. Et quel que puisse être, après l'accouchement, la qualité de l'éducation et l'amour que l'on porte à cet enfant, on ne pourra pas empêcher qu'il soit rouquin comme son père, ou diabétique comme ses grands-parents paternels, pour ne citer que ces deux exemples. Bien sûr, espérons que cela n'empêchera pas le père « adoptif » de l'aimer comme son propre enfant.

Vaudrait-il mieux, alors que le père soit connu ?

On pourrait envisager dans ce cas d'utiliser le sperme d'un ami, ou pourquoi pas, celui d’un homme connu s'il acceptait « de semer à tout vent ».

Je crains que dans ce cas, ce ne soit pire.

L'enfant risque de se voir reprocher des défauts réels, ou supposés, imputables à son père biologique chez qui on aura cru les deviner. Le problème n'est donc pas aussi simple que d'introduire des paillettes de sperme congelé dans un col d'utérus, et peut poser de gros problèmes d'identité à un enfant dont le père sera d’autant plus adoptif que le géniteur sera connu. Ce n'est sans doute pas insoluble, mais il est vraisemblable que bien peu de couples sont capables d'assumer ce type de situation.

En ce qui concerne les mères porteuses la science nous a appris récemment que les échanges mères-enfants au cours de la grossesse, sont beaucoup plus importants que ceux que l'on imaginait il y a quelques années encore. Il ne s'agit pas d'un simple problème d'oxygénation du placenta, mais d'un ensemble très complexe d'interactions immunitaires entre la mère et le fœtus dont l'effet perdure chez l'un comme chez l'autre même après l'accouchement. Ces découvertes récentes doivent nous amener à réexaminer ce problème qui ne peut se résumer au simple prêt d’un ventre.

Que dire également du traumatisme psychologique pour la mère porteuse, et du trouble que cela peut créer dans sa propre famille.

Heureusement, pour l'instant, nos élus ont eu le courage de refuser cette possibilité en France quitte à passer pour d'affreux rétrogrades.

Dans les années à venir, la solution pour les femmes qui ne peuvent mener à bien une grossesse sera peut-être l’utilisation d’un utérus artificiel (sorte de super couveuse), auquel la mère pourrait confier un ovocyte fécondé pour en assurer le développement. Bien sur, au début cette technique ne sera  utilisée que pour permettre de sauver les embryons d’une fausse-couche, ou pour permettre à des femmes ayant une malformation utérine d’avoir les enfants que jusque là leur corps leur refusait. Mais il est possible, voire probable, que cette possibilité de gestation  « ex utéro » ne devienne pour certaines la possibilité d’avoir un enfant sans les inconvénients de la grossesse et de l’accouchement, tant le procédé sera facile et les raisons multiples pour ne pas envisager une grossesse.

On pourra vraisemblablement résoudre les problèmes techniques liés à l’oxygénation d’un placenta, et à la croissance d’un embryon, mais on occulte totalement encore les liens psychoaffectifs et les interactions chimiques qui existent entre la mère et l’embryon, tout comme on ignore le rôle et l’importance de ces liens dans le développement de l’enfant puis de l’adolescent. La seule expérience que nous ayons sur le sujet, est celle que l’on peut tirer de l’observation des grands prématurés qui n’ont bénéficié d’une relation physique avec leur mère que lors des premiers mois de la grossesse.

Mais ces premières semaines étaient peut-être déterminantes !

Se passer de grossesse peut être avantageux pour la mère mais sans doute pas pour le fœtus que l’on privera du lait maternel, et de l’intime relation mère-enfant qui dans tout le règne animal est favorisé par les modifications hormonales induites par la grossesse et l’accouchement. On sait que chez les mammifères la sécrétion d’ocytocine favorise outre la lactation, les sentiments maternels au point de favoriser parfois l’acceptation d’enfants issus d’autres mères chez les jeunes accouchées. Le rôle des hormones dans le développement du sentiment maternel chez les mammifères semble fondamental. A l’inverse, on démontre* que l’absence de sensibilité à l’ocytocine chez les campagnols des montagnes (microtus montanus) ne leur permet pas de développer un comportement parental éducatif envers leurs enfants, contrairement à leurs cousins des plaines (microtus achrogaster) qui, sensibles eux à l’ocytocine, se montrent attentifs à l’apprentissage de leurs enfants et bons parents

Ces possibilités de procréation artificielle suscitent bien sûr des opinions diverses chez les femmes. Pour certaines, accéder à ce type de technique revient à libérer la femme de la maternité et donc à en faire l’égale de l’homme sur le plan de la procréation, pour d’autres au contraire, c’est la négation de leur condition de femme, de mère potentielle, seule capable de donner la vie.

Le débat ne fait que commencer, mais il est certain que si cette technique se développe elle modifiera en profondeur les relations parents/enfants et les rapports hommes/femmes divisant alors peut être la société en deux : les vivipares d’un coté et ceux pratiquant l’ectogénèse (cf. A. Huxley) de l’autre.

 

Dr. J-M  Lacroix   24/05/2011

 

* « Physiologie humaine » H. Guenard- éd. Pradel.