Le productivisme agricole est de plus en plus reconnu coupable tant de la destruction des milieux naturels que de pollutions chimiques incontrôlées. En conséquence de quoi des interrogations naissent à propos de l’indépendance des autorités scientifiques qui décident de la mise sur le marché des pesticides et des adjuvants alimentaires chimiques dont la toxicité est pourtant avérée mais dont les effets « indésirables » sont la plupart du temps occultés, voire délibérément niés comme le dénonce sans relâche, avec rigueur et talent, Marie Monique Robin dans ses livres et ses films documentaires.

C’est pourquoi de bons esprits acquis aux groupes de pression« productivistes » se lèvent périodiquement pour défendre les « acquis » de la révolution verte  et vilipender avec plus ou moins de rigueur et de succès les tenants l’agriculture dite biologique qui a de plus en plus la faveur du public et de certains agriculteurs lassés de travailler pour les trusts.

Sous le titre quelque peu tapageur : « Bio, fausses promesses et vrai marketing »  Gil Rivière-Berkstein se livre à une attaque en règle de la labellisation « bio ».

Mais nous ne saurions le blâmer radicalement d’enfoncer le clou un peu trop loin.

En effet indépendamment du point de départ de sa réflexion, celle-ci s’avère être éminemment utile en tant que garde-fou. Il est vain en effet de croire que l’étiquette ou qu’un label garantisse la pureté absolue d’un produit. L’exploitation commerciale de l’engouement (une nécessité à nos yeux) pour le « bio » peut conduire à toutes les dérives, voire à toutes les « arnaques ». Il est bon à ce titre de raison garder et de considérer avec toute l’attention nécessaire le chemin qui reste à parcourir.

En un mot Gil Rivière-Berkstein et son préfacier Jean de Kervasdoué nous apportent une nécessaire vision critique d’un secteur dont la croissance doit être parfaitement maîtrisée pour atteindre les objectifs vitaux qui sont les siens. Bref, leur intervention est une  opportune piqûre de rappel pour éviter tout systématisme, tout dogmatisme ou pire tout fanatisme en la matière.

Sachons de ce point de vue écouter Gil Rivière-Berkstein lorsqu’il accuse, entre autres choses, l’agriculture « bio » de ne pas fournir des produits de meilleure qualité que ceux de l’agriculture industrielle et d’utiliser de façon subreptice des produits chimiques, cela en contradiction avec ses cahiers des charges. Soit ! Il y a peut-être des producteurs indélicats qui abusent du label et il est plus que normal, il est impératif le cas échéant, d’en dénoncer les agissements...

Regrettons cependant que l’auteur s’attache surtout, par le biais d’un certain dévoiement idéologique de son discours, à démontrer l’obscurantisme voire l’arriération mentale de ceux qui, s’opposant aux techniques productivistes, sont de facto a priori taxés d’ennemis du progrès...

Jean de Kervasdoué, auteur de la préface (cf. texte in extenso en annexe) donne le ton :

« Ainsi l’agriculture bio s’enracine dans les courants agrariens de l’entre-deux-guerres et dans les mouvements poujadistes des années cinquante dont on sait qu’ils ont été proches de l’extrême droite. La sélection « naturelle » n’est pas loin de l’eugénisme et des thèses défendues par Alexis Carrel. Ce n’est que dans les années soixante-dix que ces thèmes sont devenus ceux des mouvements d’extrême gauche, puis des altermondialistes. L’écologie, de réactionnaire devient alors révolutionnaire. Cela ne doit rien au hasard. Gil Rivière-Wekstein en analyse les mécanismes et en donne les raisons. »

Même si les outrances de M. Kervasdoué nous sont familières, cette analyse est pour le moins étonnante de la part d’un homme supposé « de progrès », qui refuse et dénonce justement tout obscurantisme : rejetant toutes les hypothèses hétérodoxes, il considère obligatoirement que l’Évolution est l’indiscutable explication de la création du monde... Demandons-lui alors comment il peut dissocier l’évolution d’avec le Darwinisme, donc la sélection naturelle qui en constitue le fondement et en est a fortiori le moteur essentiel ?

Il faudra surtout qu’il nous explique comment dissocier l’eugénisme de cette sélection inhérente à la théorie évolutionniste et aux pratiques de sélection zootechniques ? Des sélections rigoureuses pour l’amélioration systématique des espèces animales et végétales, appliquées en recherche comme en élevage… Une  « amélioration » dont il se fait le champion, au nom du productivisme et qui serait une horreur hors du domaine strict de l’agriculture !Y associer Alexis Carrel, lauréat du prix Nobel de physiologie et de médecine en 1912 pour en justifier « des racines d’extrême droite » paraît  particulièrement ridicule !

Interrogeons-nous pour savoir, en partant de ces mêmes prémices et par un raisonnement analogique, si la chimie agricole - dont l’auteur se montre visiblement un  chaud partisan – devrait être aujourd’hui vilipendée ou même bannie au motif qu’IG Farben, le grand trust chimique du Reich allemand, en fut l’un des fondateurs ?

Bref, nous voyons là des allégations  contradictoires qui créent un sentiment d’absurdité, ce qui nuit à un propos dont la vocation devrait être de stimuler un recours plus fréquent à la raison critique de part et d’autre, tant chez les tenants des procédés industriels que chez les adeptes du « bio » dont nous sommes, ici à « Terre Future » !

Nous conseillerons surtout à l’auteur et à son préfacier de bannir dans leurs productions intellectuelles futures tout marquage idéologique dans l’intérêt de la cause défendue, laquelle doit être empreinte de la sérénité et de l’objectivité scientifique utiles et nécessaires à qui veut faire progresser positivement le débat sur ces questions cruciales de santé publique et de sécurité alimentaire. Sauf, bien entendu, à faire sciemment œuvre partisane !

Cela ne peut cependant qu’affaiblir la portée des analyses, à l’instar, répétons-le, de l’association particulièrement ringarde établie entre « agriculture biologique » et « extrême droite » ! Est-il au final si nécessaire de diaboliser l’écologie aussitôt qualifiée de « réactionnaire » pour en faire un examen critique sans concession ?

Claude  Timmerman    mars 20011

 

 

Bio : fausses  promesses et vrai marketing

 

Gil Rivière-Wekstein, en collaboration  avec Valérie Rivière-Wekstein,

Le Publieur, 248  pages, ISBN 978-2-35061-0184, 19€.

Ce qu’en dit l’éditeur : « Avec  Bio, fausses promesses et vrai marketing, Gil Rivière-Wekstein  ouvre un débat nécessaire, alors qu’il semble tellement naturel de consommer  bio à tout prix. L’agriculture biologique doit se sauver d’elle-même, de son  idéologie comme de son cahier des charges de production, aujourd’hui obsolète.  L’évolution de la réglementation sur les pesticides naturels utilisés en  agriculture biologique conduit les producteurs bio dans des impasses  techniques et économiques.

Pendant plus de deux  ans, il a réuni les différents éléments pour retracer les origines du bio qui remontent bien avant le Grenelle de l’Environnement. Il révèle que les racines  du bio s’enfoncent dans une terre bien sombre. Avant de prendre des accents  altermondialistes, le bio a en effet longtemps été l’apanage des milieux  agrariens réactionnaires et hygiénistes dans les années trente, des adeptes de  « la terre qui ne ment pas » dans les années quarante, puis du poujadisme dans  les années cinquante. C’est dans cette plongée au cœur de ses fondements  historiques et idéologiques, mêlés de théories ésotériques sur de mystérieuses  « forces vitales », que nous emmène Gil Rivière-Wekstein.

Or, l’agriculture  biologique a sa place sur l’échiquier agricole : celle d’une production de qualité, à l’image de certains labels, ou d’une production plus spécifique de  produits hors du commun. L’avenir du bio s’écrit aujourd’hui. Il pourrait  passer par les biotechnologies… »

Annexe :

Préface de Jean De Kervasdoué

 « AUX SOURCES TROUBLES DU BIO »

 Le label « bio » s’accole à de plus en plus de produits. Les produits « naturels » vendus autrefois dans quelques boutiques spécialisées dont, il y a une décennie à peine, la grande majorité des consommateurs ne passaient jamais la porte, ne sont plus réservés à une clientèle marginale. Ils trônent, s’affichent, prennent de la place, disposent de leurs rayons spécifiques dans les grandes surfaces et donc, à l’évidence, se vendent, malgré leur prix. Ils sont en effet largement plus onéreux en moyenne que les produits comparables. Baguette bio, yaourt bio, légume bio, fruit bio, lessive bio, huile bio, pommade bio, savon bio, oeuf bio, vin bio, menu bio, boutique bio,… difficile d’échapper à ce label. Difficile également de ne pas être séduit tant il semble naturel, si j’ose dire, tant il est « évident » que ces produits onéreux sont meilleurs – meilleurs au goût, meilleurs pour la santé et surtout meilleurs, sans contestation possible, pour l’environnement.

Mais qu’en est-il vraiment ? Faut-il recommander, notamment aux gens de milieu modeste que je croise lors de mes courses hebdomadaires sur les marchés de l’est parisien, d’acheter bio ? L’une ou l’autre des raisons alléguées par les partisans de cette nouvelle mode a-t-elle un incontestable fondement empirique ?

Fin connaisseur des travaux les plus récents en la matière, Gil Rivière-Wekstein répond à ces questions et fait ainsi œuvre utile. Avec talent et clarté, il passe de l’agronomie, à la toxicologie, n’oublie pas les travaux de médecine, et notamment les recherches en nutrition, pour démontrer que, études après études, non, définitivement non, il n’est pas prouvé que ces produits aient un quelconque effet bénéfique pour la santé. Quant à leur goût, en aveugle, même les experts avertis ne font pas la différence entre un produit bio et un produit qui ne l’est pas. Il souligne d’ailleurs en passant que, pour le vin notamment, le label bio ne garantit en rien les qualités gustatives de ce précieux nectar. Il montre aussi, et cela étonnera plus d’un, que les cultures bio ne respectent pas davantage l’environnement du fait de la découverte de nouveaux pesticides, plus ciblés, moins toxiques, que ceux autorisés en agriculture biologique. L’agriculture « raisonnée » et les produits qui en sont issus seraient donc plus « écoresponsables » que ceux qui suivent une réglementation particulière pour obtenir le label bio !

Le lecteur sceptique dira déjà – au mieux – « je ne suis pas convaincu » ou – plus vraisemblablement – « je n’y crois pas » ; mais Gil Rivière-Wekstein n’est pas, lui, un religieux. Il ne parle donc pas de croyance mais de résultats de travaux de recherche convaincants, répliqués dans plusieurs pays et qui lui permettent d’affirmer avec force ces vérités. Pourtant, elles ne pénètrent pas dans l’opinion. Non seulement nous croisons chaque jour des acheteurs de plus en plus nombreux de produits bio, mais nous connaissons tous des partisans de la biodynamie ou des croyants en une « force vitale » qui serait transmise par ce que nous ingérons. Pourquoi ? Comment se fait-il que ces idées d’un autre âge trouvent de nouveaux adeptes ? C’est la grande originalité de cet ouvrage que d’apporter une réponse à cette question. Fascinant !

Ainsi, le lecteur découvrira que l’agriculture bio s’enracine dans les courants agrariens de l’entre-deux-guerres et dans les mouvements poujadistes des années cinquante dont on sait qu’ils ont été proches de l’extrême droite. La sélection « naturelle » n’est pas loin de l’eugénisme et des thèses défendues par Alexis Carrel. Ce n’est que dans les années soixante-dix que ces thèmes sont devenus ceux des mouvements d’extrême gauche, puis des altermondialistes. L’écologie, de réactionnaire devient alors révolutionnaire. Cela ne doit rien au hasard. Gil Rivière-Wekstein en analyse les mécanismes et en donne les raisons. Qui sont les ennemis de la notion moderne du progrès ? Pourquoi sont-ils partisans de la décroissance ? Comment se rejoignent les pourfendeurs de la mondialisation et les partisans de la théorie du complot ? Pourquoi, pour certains, la nature devrait triompher de la culture, autrement dit de la société humaine ?

Dans cette période où les écologistes politiques deviennent l’allié « naturel » de la gauche démocratique, la lecture de cet ouvrage s’impose d’autant que les jeunes générations semblent avoir oublié ce qui était évident il y a moins d’un demi-siècle, et ce d’autant que les denrées bio sont de plus en plus produites dans de grandes exploitations. Très vite le bio ne sera même plus une manière de défendre la survie des petites exploitations françaises, le filon se déplace en Ukraine. Déjà, en Allemagne, des exploitations bio de plus de 15 000 hectares inondent les marchés mondiaux de leur production.

Terminons alors cette préface, pour les sceptiques de Gauche et d’ailleurs, par une citation de Jean Jaurès. Elle est tirée de « La houille et le blé » (La Petite République, 31 juillet 1901).

« Mais n’est-ce pas l’homme aussi qui créa le blé ? Les productions que l’on appelle naturelles ne sont pas pour la plupart […] l’oeuvre spontanée de la nature. Ni le blé ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque grain ou quelque cep sauvage. C’est l’homme qui a deviné, dans je ne sais quelle pauvre graine tremblant au vent des prairies, le trésor futur du froment. C’est l’homme qui a obligé la sève de la terre à condenser sa plus fine et savoureuse substance dans le grain de blé ou à gonfler le grain de raisin.

Les hommes oublieux opposent aujourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel au vin artificiel, les créations de la nature aux combinaisons de la chimie. Il n’y a pas de vin naturel ; il n’y a pas de froment naturel. Le pain et le vin sont un produit du génie de l’homme. La nature elle-même est un merveilleux artifice humain.

L’union de la terre et du soleil n’eût pas suffi à engendrer le blé. Il y a l’intervention de l’homme, de sa pensée inquiète et de sa volonté patiente. […] Que la science soit près du moissonneur. »