Caduque ! La «proposition de loi visant à limiter la production de viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement aux strictes nécessités prévues par la réglementation européenne» présentée au Sénat par Nicolas About le 15 septembre 2010 ne verra donc pas le jour. Car Nicolas About n’est plus président du groupe Union centriste du Sénat, et n’est d’ailleurs plus sénateur depuis le 23 janvier.

La nomination de Nicolas About au CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), où les «fonctions de conseiller sont incompatibles avec tout mandat électif, tout emploi et toute autre activité professionnelle», a entraîné l’application de la tradition parlementaire et donc la caducité de son texte, dont «l’unique auteur n’est plus en fonction suite à l’interruption de son mandat (pour cause de nomination au gouvernement, de décès, de non-renouvellement de son mandat…).»

Revenons néanmoins sur sa proposition de loi (http://www.senat.fr/leg/ppl09-711.html), car elle ne s’en tenait pas seulement au problème de la souffrance animale, de l’étiquetage et de l’information du consommateur, mais abordait aussi de front le rôle des abattoirs dans la gestion des volumes de viandes rituelles écoulées dans le commerce non communautaire.

La pratique des abattoirs et des négociants, qui consiste à disséminer les surplus de viande halal dans les grandes et moyennes surface et auprès des entreprises de restauration collective et de produits surgelés, joue en effet comme une variable d’ajustement face aux incertitudes de la distribution halal sur le marché intérieur comme à l’exportation. C’est un secteur en forte expansion, plus de 10% par an, mais cette croissance devient elle-même une incitation à surestimer les débouchés. Pour les négociants et grossistes, mieux vaut disposer de trop de halal que de quantités insuffisantes. Et si les organisations confessionnelles craignent des campagnes de boycott en cas d’étiquetage explicite de la nature rituelle de la viande, les professionnels de la filière viande pourrait redouter, quant à eux, les conséquences économiques d’une réaction négative des consommateurs à l’égard de ces surplus halal dont l’ampleur serait soudainement dévoilée.

Dans l’exposé des motifs, l’ex-sénateur rappelait que la «généralisation de l’abattage sans étourdissement préalable», qui relève de motivations essentiellement économiques, «permet aux abattoirs d’accéder à de nouveaux marchés, celui de la viande casher et halal, de plus en plus lucratifs, tout en écoulant les invendus sur le marché classique.»

La proposition de loi prévoyait donc «de responsabiliser aussi bien les abattoirs, en amont de la chaîne de production, que les distributeurs, en aval et en relation directe avec le consommateur final». L’objectif était de rationaliser les circuits halal dans la filière viande et de «limiter la production de viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement aux strictes nécessités de consommation à des fins religieuses». Voici les deux articles qui ambitionnaient d’y apporter une réponse :

«Art. L. 654-3-1. – Les dérogations à l’obligation d’étourdir les animaux avant l’abattage ou la mise à mort, accordées pour la pratique de certains rites religieux, sont limitées chaque année aux seuls besoins liés à la consommation découlant du respect de ces pratiques religieuses, par un décret pris en Conseil d’État qui fixe chaque année le quota d’animaux abattus sans étourdissement. Le décret est pris après avis des autorités religieuses compétentes.»

« Art. L. 654-3-2. – Le fait, en dehors des cas prévus aux articles L. 654-3 et R. 214-70, de ne pas étourdir les animaux avant leur abattage ou leur mise à mort, est constitutif d’un acte de cruauté envers les animaux au sens de l’article 521-1 du code pénal et est puni des mêmes peines.»

Cette démarche législative offrait l’intérêt de se pencher sur les origines du succès du halal en France. C’est en effet à la phase «abattage» de la filière viande boucherie/volaille que naît le circuit halal. Jusqu’au milieu des années 1990, ce sont les préfectures qui attribuaient les habilitations de sacrificateur. Les préoccupations politiques (structurer des instances représentatives de l’islam) et les projets communautaristes se sont greffés sur les intérêts économiques des opérateurs de la filière (un marché en pleine expansion) et la manne financière perçue par les trois mosquées agréées par l’État pour contrôler l’abattage rituel.

Constatant le peu de fiabilité du caractère authentiquement halal des produits proposés à la vente, en particulier ceux ayant bénéficié d’une transformation, et les troubles suscités chez les consommateurs musulmans, les instances communautaires entendent reprendre la main face aux opérateurs de la filière et aux distributeurs, ces derniers multipliant leurs propres marques halal. La difficile élaboration d’une charte halal par le CFCM (Conseil français du culte musulman), dont le conseil d’administration a récemment «invité le bureau exécutif du CFCM à finaliser la réflexion sur une disposition restée en suspens afin de recueillir le consensus le plus large sur le sujet» (communiqué du 23 janvier), en est une illustration.

On peut tout à fait considérer que la défunte loi aurait été complexe à appliquer, compte tenu de la difficulté de comptabiliser les besoins réels des communautés concernées et d’estimer la sincérité des chiffres fournis. Mais avec le retrait prudent, à l’Assemblée, de la proposition de loi de Nicolas Dhuicq «information du consommateur quant au mode d’abattage des animaux» (laquelle devrait néanmoins réapparaître, voir notre entretien exclusif du 14 janvier), les réponses peu convaincantes des ministères aux multiples questions des députés sur ce même sujet, la suppression par la Commission européenne de l’amendement 205 du Parlement européen sur l’étiquetage de la viande abattue rituellement, toutes choses dont L’Observatoire du halal s’est fait l’écho ces dernières semaines, le législateur peut constater que le communautarisme lui offre une résistance certaine.

L’Observatoire du Halal