Le médecin sera-t-il bientôt remplacé par un ingénieur qui évaluera les données du patient, recueillies à l'aide de bio-capteurs, en fonction des statistiques établies pour définir la norme. Finie la consultation traditionnelle faite d'un entretien, d'une auscultation, d'une palpation, qui crée un lien physique avec le malade, qui valorise la relation médecin-patient, qui l’individualise, qui crée de l'empathie, de la compréhension, parfois même de la sympathie, toutes ces choses qui nous séparent des machines.

Depuis quelques années nous assistons à une véritable révolution dans les techno-sciences avec l'apparition des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), de l'informatique (I), et de l'intelligence artificielle ou cognitivisme (C) qu'on regroupe sous le terme de NBIC pour plus de commodité. Ces nouvelles technologies vont entraîner des révolutions thérapeutiques : les nanosciences, par l'approche moléculaire ou atomique qu'elles permettent d'avoir dans certaines manipulations, les biotechnologies en permettant d’intervenir sur les cellules souches ou sur nos molécules d'ADN, pour en extraire certains éléments où en ajouter d'autres, grâce en particulier à la technique du CRISPR-Cas 9, l'informatique, qui par l'immensité des données (big Data) qu'elle engrange, trie et recoupe entre elles, permet d'effectuer des propositions jusque-là ignorées, et enfin l'intelligence artificielle ou cognitivisme, qui consiste à confier à un ordinateur des initiatives dites intelligentes susceptibles de dépasser celles de l'homme, estiment certains.

De nombreuses pathologies pourront être traitées à distance, par des automates ou encore mieux, évitées grâce aux progrès effectués dans les NBIC. C’est ce que pensent les responsables de sociétés comme Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et IBM, qu'on regroupe pour plus de facilité sous le nom de GAFAMI, ou leurs concurrents chinois les BATX, qui estiment que la médecine évolue vers une augmentation des capacités de l'humain, qui entraînera une augmentation de sa longévité, et vers une lutte contre les anomalies génétiques responsables de pathologies.

Ces sociétés ont décidé d'investir des sommes colossales dans des instituts de recherche, comme la société « Calico » créée par Google, ou la Singularity University, pour ne citer que les plus connues, afin de développer des techniques permettant de se débarrasser de la maladie, de la vieillesse, et éventuellement de la mort.

A l’université de San Diego, les chercheurs du Salk Institute sont récemment parvenus à créer un embryon chimérique cochon-homme, résultat de technologies de pointe combinant la culture de cellules souches et des techniques de modification génétique afin de produire des organes compatibles avec l’organisme humain, dans le corps d’un animal destiné à être sacrifié ensuite.

 

Différentes expériences ont déjà été réalisées. Des cœurs de porc génétiquement modifiés auraient duré deux ans et demi après avoir été transplantés chez des babouins. Mais en voulant créer des cœurs, des foies ou des pancréas humainement compatibles chez des porcs, nous risquons aussi de les doter de neurones humains, donc d’un cerveau hybride, mi homme mi cochon ! Nous ne sommes encore qu’aux balbutiements de ces techniques, mais envisager de modifier durablement et profondément des fonctionnements biologiques issus de sélections et de mutations accumulées au fil des millénaires, présuppose une connaissance parfaite de la physiologie humaine et animale (que nous ne possédons pas encore), si l’on veut éviter des excès aux conséquences imprévisibles. 

Raisons pour lesquelles les autorités de santé américaines ont imposé un moratoire et le NIH (National Institute of Health) a décidé en 2015 de ne plus financer (pour l’instant) ce type de travaux, et de les soumettre à un comité d’éthique. Cependant l’armée américaine en finance certains et il est probable que les chercheurs trouveront auprès de ceux que le transhumanisme fascine, des sources de financement privées pour mener à bien leurs expériences.

Le cadre légal des états sera vite franchi, et en l'absence d'une force éthique suffisante, nous ne pourrons pas nous opposer aux excès de cette évolution qu’il faudrait pourtant contrôler étroitement si on veut l’étudier sereinement.

Vouloir changer l'être humain, transformer le vivant pour en faire une chimère dotée de performances exceptionnelles hors du commun, risque de tenter des esprits frustrés qui voient dans ces réalisations l'aboutissement de leurs rêves insatisfaits ou l'épanouissement d'un orgueil sans limites. On pourrait certes, décider de vivre dans un monde dans lequel nous serions plus ou moins parfaits, mais que deviendront alors nos émotions, nos désirs et nos peurs ? Et que penser aussi de cette société, qui devant l'ampleur des contingences économiques ou politiques que réclameront ces transformations, devra réserver ces avancées technologiques à un groupe d'élus ? Certes les scientifiques nous tiennent des propos rassurants, mais sont-ils assez savants pour qu'on puisse leur faire confiance ?


Dr Jacques-Michel Lacroix - 19/02/2018