On fabrique des licornes domestiques, et on a encore tué une, sauvage, en août 2014

La licorne fait partie de ces « animaux fabuleux » qui hantent l’imaginaire populaire et émaillent les récits depuis la plus haute antiquité. Très présente dans la littérature du Moyen Age, immortalisée dans l’iconographie par les célèbres ensembles de tapisseries dits de « La chasse à la licorne » et de « La dame à la licorne », tissés sur les métiers des Flandres durant la seconde moitié du XVeme siècle, la licorne tient une place de choix dans les divers bestiaires connus qui parsèment la littérature et les bas-reliefs depuis l’antiquité babylonienne et chinoise.

Des descriptions graphiques ou scripturales qui reprennent évidemment, par besoin d’analogie pour la compréhension, des comparaisons avec des animaux existants, ce qui laisse une large part à l’interprétation personnelle des rédacteurs… Et des lecteurs ultérieurement.

Des animaux auxquels se rattachent symbolique, mystique, ésotérisme, etc…

Les diverses descriptions qui sont y recensées présentent globalement les caractéristiques suivantes :

  • Une allure générale d’Équidé ou de Cervidé

  • Un corps de Cervidé (de plus ou moins grande taille du cerf au chevreuil)

  • Des pieds à sabots « fendus » ou non(1)

  • Un appendice frontal de plus ou moins grande taille désigné comme « corne ».

A cela s’ajoute l’existence éventuelle d’une toison laineuse, présente dans certaines descriptions.

(Ci-dessus une enluminure du Hainaut de 1285, où la licorne est figurée avec un corps de mouton.)

Il n’y aurait donc pas, d’après les descriptions, une espèce « licorne » mais des animaux, zoologiquement divers, reliés artificiellement du fait de ce seul caractère commun : la « corne (2)». Mais tous cependant, présentant des sabots, se rattacheraient finalement aux Mammifères Ongulés. Une équivoque qu’illustre parfaitement la terminologie d'« unicorne » considérée par beaucoup comme synonyme de licorne.    

Pour la commodité de l’exposé, nous n’évoquerons pas dans un premier temps les licornes d’Extrême Orient mais le lecteur comprendra finalement qu’elles s’inscrivent pleinement dans notre propos !

Nous pouvons en première approximation regrouper tous ces animaux, suivant la classification simplifiée, en :

  • animaux à un nombre impair de doigts, 1 ou 3, dits Mésaxoniens ou Périssodactyles

  • animaux à nombre pair de doigts, 2 ou 4, (généralement 2 en appui) dits Paraxoniens ou Artiodactyle

C’est sur cette base que nous allons pouvoir raisonner pour mettre en adéquation mythe et réalité.

Il importe alors de s’interroger sur deux points clefs de nos descriptions :

  • la nature possible de la « corne » décrite.

  • le nombre réel de doigts des membres de l’animal.

Ces deux éléments devraient suffire à préciser la position zoologique de ces animaux, car nous verrons qu’ils sont directement liés.

I – La dent du narval

Les représentations classiques de la licorne montrent très souvent une « corne » frontale implantée sur le haut du crâne au niveau de la ligne des orifices auriculaires (attaches des oreilles externes).

La « corne » présente la couleur, la forme et la spiralisation caractéristique de la dent de narval (Cétacé marin).

C’est donc une formation en ivoire, ce que l’on appelle communément une « défense » telle qu’on les trouve chez d’autres Mammifères, tels les morses ou les Proboscibiens (Éléphants).

Zoologiquement, il s’agit de l’incisive médiane supérieure gauche de l’animal qui atteint souvent plus de 1,5 m et dont l’hypertrophie peut exceptionnellement dépasser 2,5 m !

On observe d’ailleurs assez souvent la croissance, plus limitée, de l’incisive supérieure droite symétrique.

Dans de très rares cas, on a même affaire à des animaux aux deux incisives quasi symétriques (ce qui leur dénie alors forcément leur nom de « Licorne de mer » !).

Ce sont ces incisives de narval qui ont classiquement servi de modèle à la majorité des représentations de la « corne » des licornes terrestres.


























La question à se poser est alors de savoir si la disposition d’implantation « au milieu du crâne », telle qu’elle est représentée chez les licornes terrestres, est imaginable concernant une dent.

L’anatomie comparée des Mammifères, même si certains par ignorance remettent stérilement en cause ces constats, nous montre qu’à la différence de Vertébrés dits inférieurs, les dents des Mammifères sont exclusivement cantonnées aux os maxillaires (pour les dents du haut) et à la mandibule (pour les dents du bas).

Ceci ne souffre aucune exception et se justifie clairement pour des raisons cytologiques et embryologiques que nous ne développerons pas ici pour ne pas alourdir l’exposé(3).

Il s’en suit que l’on ne peut observer de dent « sur un crâne » !

Les défenses classiquement connues sont toutes des incisives ou des canines hypertrophiées, dont le développement et la croissance modifient d’ailleurs la structure crâniale de façon plus ou moins significative, et qui se développent toujours à l’extérieur de celui-ci.

On connaît de rarissimes cas anormaux de croissance inversée comme celui, célèbre, de certains éléphants d’Asie où le germe dentaire orienté vers l’arrière conduit au développement de défenses dirigées vers le corps !

(Ce qui évidemment pose question quant au devenir de l’animal si la croissance se poursuit jusqu’au ventre et aux membres. Il est évident qu’alors l’existence même de l’animal sera menacée, mais c’est une autre question…)

Le seul cas connu où des dents paraissent « sortir du crâne » s’observe chez le babiroussa, un porc sauvage des Célèbes dont la canine supérieure traverse l’os dentaire vers le haut et semble « pousser au milieu du groin ».

Mais seul l’os dentaire est en cause : la boîte crânienne n’est pas impliquée et le palais n’est pas traversé. Ce qui se voit très clairement sur le squelette.


L’idée d’une dent implantée en arrière de la ligne des yeux, « traversant » la boîte crânienne est donc une fiction !

L’ivoire de licorne est donc un mythe, même si la préciosité associée à la défense de narval a conduit à de remarquables œuvres d’art (trône, crosses d’évêques, pieds de ciboires, de calices, de coupes, ostensoirs, sceptres, cannes, etc.)

[Une dent de narval figure même parmi les « objets inaliénables de la maison de Habsbourg » : une "corne de licorne" connue sous le nom de Ainkhürn, offerte par le roi de Pologne Sigismond II à l'empereur Ferdinand Ier en 1540.)

II – Périssodactyles : les Rhinocéototidae

L’une des hypothèses majeures concernant l’appartenance zoologique des licornes concerne les Rhinocéridés, une hypothèse qui repose essentiellement sur l’existence d’une « corne » nasale unique implantée dans le plan médian, voire deux « cornes » alignées dans ce même plan chez, par exemple, les rhinocéros africains…





























Une hypothèse qui a été remise au goût du jour au début du XX
eme siècle avec les travaux paléontologiques pratiqués sur un groupe de fossile de Rhinocéridés (Rhinocerotidae) laineux, découverts en Sibérie, Chine et Asie centrale : les Elamosthérium.

(Ce groupe suscite aujourd’hui un engouement médiatique délirant et des supputations stupides depuis que de récentes réévaluations de datation ramèneraient son extinction à – 26 000 ans. Tout ce tapage parce qu’il aurait été « contemporain de l’homme », au paléolithique, ce qui n’a vraiment aucune importance zoologique !)

Les représentations, glabres au début du XXeme siècle mais aujourd’hui devenues velues, varient notablement au gré de la fantaisie des auteurs.

En fait, ce qu’il importe de savoir c’est que l’Elasmotherium est un Rhinocéridé typique, aux membres à trois doigts, d’une hauteur de 2 m environ pour un poids de 4 à 5 T. Cela est avéré, le reste n’est que fantasme ou littérature…

Il est doté d’une « corne » massive unique en position ligne des yeux dont aucun exemplaire n’a été retrouvé, ce qui est prévisible si on admet en bonne logique que cet appendice est de même nature que ceux que l’on rencontre chez les Rhinocéros actuels : de la kératine pratiquement jamais fossilisée.




Les représentations, glabres au début du XXemesiècle mais aujourd’hui devenues velues, varient notablement au gré de la fantaisie des auteurs. En fait, ce qu’il importe de savoir c’est que l’Elasmotherium est un Rhinocéridé typique, aux membres à trois doigts, d’une hauteur de 2 m environ pour un poids de 4 à 5 T. Cela est avéré, le reste n’est que fantasme ou littérature…

Il est doté d’une « corne » massive unique en position ligne des yeux dont aucun exemplaire n’a été retrouvé, ce qui est prévisible si on admet en bonne logique que cet appendice est de même nature que ceux que l’on rencontre chez les Rhinocéros actuels : de la kératine pratiquement jamais fossilisée.

Un appendice nasal qui n’est pas une corne !

La ou les « cornes nasales » des Rhinocéros ne résultent pas d’une structure homologue aux cornes d’autres mammifères qunous allons voir ensuite. Ces « cornes », qui existent toujours chez les deux sexes, sont constituées de l'agglomération de longues fibres de kératine insérées dans une gangue de kératine amorphe. On parle souvent sous forme imagée de « poils agglomérés ».

C’est donc une formation dermique sans lien avec le squelette sous-jacent à laquelle elle n’est solidarisée que par la peau et le tissu conjonctif sous-jacent.

C’est flagrant si on se réfère au célèbre squelette d'un spécimen femelle de rhinocéros blanc (Ceratotherium simum) rapporté par l'explorateur Adulphe Delorgue en 1844. Pour la mise en valeur des « cornes » et la beauté de la présentation, les taxidermistes du temps ont poli les « cornes » et les ont débarrassées des fibrilles kératinisées périphériques basales !

Les « cornes » apparaissent ainsi « posées », totalement désolidarisées du squelette.

(Ce squelette fut acquis par le Muséum national d'histoire naturelle de Paris en 1846 et il est exposé aujourd'hui à la galerie d'Anatomie comparée.

Nous sommes donc toujours loin des descriptions récurrentes de pieds à « sabot fendus »…





Nous sommes loin aussi d’un corps d’Équidé ou de Cervidé.

Qu’on le veuille ou non, si on s’en tient aux descriptions, les Rhinocéridés ne sauraient sérieusement prétendre être à l’origine des licornes !

Cette « corme » - qui est donc anatomiquement une « structure fibreuse de type poil » - se présente sous forme d’une plaque kératinisée pseudo-circulaire (plus ou moins recouverte secondairement par l’épiderme au fil de sa croissance) qui développe une excroissance en son milieu. [voir photo ci-dessus]

Le diamètre du fût ainsi constitué n’excédera pas la moitié de celui de la plaque-assise kératinisée d’où il émerge, s’amincissant vers le haut.

(C’est en négligeant cette réalité anatomique que l’on voit aujourd’hui des descriptions et pire, des représentations, d’Elasmotherium auxquelles on attribue « une corne dont le diamètre est celui d’un torse d’homme » sic !

En fait si on tient compte du diamètre de base de la plaque socle, qui ne peut évidemment excéder la largeur du chanfrein, le fût de la corne d’Elasmotherium ne devrait pas excéder un diamètre de 40 cm vers la base pour une longueur atteignant moins de 2 m… Ce qui n’est déjà pas si mal !)

La croissance de cette « corne » est continue tout au long de la vie du rhinocéros, de l’ordre de 5 à 7 cm par an.

(Le record mondial répertorié de longueur est une « corne » de 1,58 m de long !)

Les rhinocéros indiens, unicornes, sont à l’origine de la fameuse description de « l’enclos des licornes » du Devisement du monde de Marco Polo rédigé en 1298.

Ils ont longtemps nourri un certain imaginaire de la licorne, même si la corne en position nasale ne correspondait pas franchement avec le mythe de la corne en position frontale.

Plus de deux siècles plus tard, le premier rhinocéros indien vivant vu en Occident, débarqué à Lisbonne en 1515, conduira à des descriptions parfois assez précises qui amèneront Albrecht Dürer – qui ne vit jamais l’animal de ses propres yeux – à sa célèbre gravure sur bois que l’on peut comparer aujourd’hui avec profit à une photo de l’animal.

Les rhinocéros bicornes africains ne sont pas en reste et seront même à l’origine de représentations de licornes « à deux cornes » mais qui conserveront toujours des membres à trois doigts…

III. Artiodactyles à cornes vraies : les Bovidae

a) La corne

L’os qui compose le cornillon, est alvéolaire : c’est un os pneumatique, percé en son centre d’un sinus qui communique avec le système des sinus frontaux. Sur le cornillon, les couches épithéliales germinatives secrètent un revêtement kératinisé en étui : la corne proprement dite. Elle s’accroît depuis sa base par anneaux successifs qui permettent de repérer l’âge de l’animal. Elle est évidemment persistante. Le cornillon est susceptible de fossilisation comme tous les os et se retrouvera donc lors des fouilles paléontologiques.

L’écornage des Bovidés conduit à une modification notable de la morphologie latérale crânienne qui va transformer le crâne dont le diamètre temporal se trouvera notablement réduit. La comparaison de deux demi crânes sensiblement de même âge et de même taille montre, côté écorné, la spectaculaire modification induite.


(D’après Demeter – groupement suisse d’éleveurs de bovins)

On comprend que la disparition d’un cornillon latéral provoque un remaniement de la paroi de l’os frontal et du réseau de sinus qui s’y trouve et conduit morphologiquement à un os géométriquement comparable à celui des Cervidés…

Un élément essentiel pour comprendre la transition morphologique chez les Bovidés, depuis deux cornillons issus de boutons germinatifs latéraux, à un seul cornillon central, cas prévisible de l’animal unicorne.


b) L’équivoque dagorne

Selon l’abbé Prévost en 1767 : « la dagorne est une vache qui n'a qu'une corne - qu'elle l'ait perdue naturellement ou qu'on la lui ait coupée. » On constate ainsi qu’il existe donc une équivoque très ancienne dans la terminologie descriptive, entre le bovin unicorne latéral suite à accident et l’éventuelle licorne bovine à potentielle corne centrale.

On ne saurait négliger ce problème descriptif qui rejoint l’équivoque antique du bas-relief, toujours gravé de profil, particulièrement ceux où sont figurées des « licornes ».

Il ne s’agit pas ici de nier l’existence de licornes (unicornes frontales vraies) mais de comprendre qu’une indiscutable confusion s’est créée dès l’origine de la mention, littéraire comme graphique, des unicornes : licorne ou unicorne latérale ? De ce fait, certains témoignages sont à prendre avec prudence, sinon circonspection.

Ainsi Le grand orientaliste Étienne Marc Quatremer notait en 1845 : « Les vaches unicornes apparaissent dès 1525 dans les récits du voyageur Varthema. Il les situe sur la côte de Zeïla et leur donne des cornes rouges. »

Au début du XIXeme siècle, la dagorne est bien toujours considérée aussi dans la littérature comme unicorne latérale :

« D'une vache en jouant ayant rompu la corne

Le berger l'en priait de n'en rien dire. — Hélas !

Et quand je m'en tairais, lui répond la dagorne,

Mon front déshonoré ne le dirait-il pas ? »

(J.-B.-A. Clédon, Poésies diverses, tome Ier, Fables, livre IV, IV: Le berger et la vache ; Delaunay libraire, Paris, 1811, page 88)

Notons enfin que la littérature regorge de récits de combats animaux où le vainqueur est un unicorne latéral capable d’utiliser sa seule corne comme une arme, bien plus redoutable que la paire dont il disposait à l’origine.

Les bovidés ont d’ailleurs toujours une corne maîtresse dont ils usent préférentiellement pour tel ou tel mouvement.

Ceci repose sur de simples observations comportementales.

C’est par exemple le but du préambule du premier tercio de la corrida, que de tester à travers des passes de cape quelle est la corne maîtresse de l’animal, qualifié alors de « droitier » ou de « gaucher ».

D’un point de vue morphologique enfin, il existe une corrélation certaine entre la forme du corps et la taille des cornes : plus le corps est élancé, plus les cornes sont imposantes et inversement, plus le corps est trapu, moins les cornes sont développées. Il suffit pour s’en persuader de comparer par exemple un bœuf Watusi et un taureau charolais…

(On comprend de ce fait qu’un corps de bovidé en mouvement, s’il est svelte, puisse se confondre avec un corps de cervidé pour un observateur lointain non averti… Une grande antilope à crinière a d’ailleurs été dénommée « antilope-cheval » à cause de la morphologie de son corps : l’hippotrague !


c) Des licornes domestiques ?

Dans son ouvrage « Histoire naturelle des Licornes » le professeur Chris Lavers [Chris Lavers est biologiste, professeur d'écologie et de biogéographie à l'Université de Nottingham en Grande Bretagne. Il a consigné ses nombreuses recherches sur les licornes dans un ouvrage très connu outre-Atlantique : “The Natural History of Unicorns”Chris Laver – USA : William Morris. (2009)] note :

« Pourtant, des expériences faites sur du bétail afin de manipuler les cornes pour qu'elles n'en forment plus qu'une, tendent à montrer que c'est le fait de n'avoir qu'une corne frontale qui donne à l'animal plus de leadership. En effet une corne frontale, rend l'animal qui charge beaucoup plus redoutable que s'il en avait deux. Il peut s'en servir pour soulever des barrières et s'imposer au reste du troupeau. C'est la corne unique qui fait qu'il devient le chef, et pas l'inverse ! »

Il fait référence ici à des techniques déjà évoquées plus de deux siècles plus tôt par le naturaliste français François Le Vaillant, découvertes lors de son périple en Afrique du sud (François Le Vaillant (1753 – 1824). Il est envoyé en exploration par la Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales en Afrique du Sud. Dans les années 1780 – 1785, il découvrira nombre d’espèces d’oiseaux - notamment de perroquets - et est à l’origine des appellations de l’aigle « bateleur » et de l’aigle pêcheur africain dit « vocifer ». Il décrira également la vie et les mœurs et techniques des populations indigènes locales, notamment durant son second périple où on cherchait à produire des taureaux unicornes pour en faire des chefs de troupeaux.

La qualité de l'unicorne était donc reconnue et déjà recherchée en élevage en Afrique, ce qui nous conduit à considérer autrement les récits des observations faites en Afrique de l'est, historiquement déjà connue pour sa pratique de lélevage essentiellement bovin ou caprin.

d) Les travaux de Franklin Dove, expériences et théorie

William Franklin Dove (1897 – 1972) biologiste américain, chercheur à l’université du Maine s’est spécialisé dans l’étude de la sélection des animaux d’élevage, et de l’amélioration de la nutrition animale. Son nom est resté attaché à sa théorie sur l’origine et la migration des disques germinatifs des cornes, et ses travaux sur la création expérimentale des licornes bovines. : “The Physiology of Horn Growth” in the Journal of Experimental Zoology (Jan 1935, Vol 69, No 3) Artificial Production of the Fabulous Unicorn” in Scientific Monthly (May 1936, Volume 42; pages 431-436).

Dove a connaissance des récits de Vaillant sur la « manipulation des cornes » en élevage en Afrique du sud et également de descriptions sur la présence de moutons « manipulés » devenus unicornes, fréquemment employés comme chefs de troupeaux au Népal…

Anatomiquement il constate que la corne résulte du développement d’un disque germinatif lui-même résultant de la présence d’un bourgeon initial. C’est la destruction de ce bourgeon (en général par brûlage) qui provoque l’écornage.

Il procède d’abord au prélèvement de ces bourgeons, en les décollant bien à plat de l’os sous-jacent, et les réimplante en zone périostique, ailleurs sur l’os frontal. Il constate alors le développement de nouveaux disques germanitifs générateurs de futurs cornillons et donc des cornes qui y seront liés.

Il émet alors l’hypothèse que puisqu’ils sont transportables de la sorte, et ré-implantables sur l’os, sans greffe inclusive proprement dite, ces bourgeons germinatifs ne sont pas de nature proprement osseuse mais qu’interagissant avec l’os support sous-jacent ils induisent la formation du cornillon.

Ceci est évidemment vrai en position frontale médiane.

Il se propose alors de réaliser une « licorne » en implantant côte à côte les deux bourgeons prélevés. Il constate que les deux bourgeons vont fusionner, produisant un seul disque germinatif mais plus important, générateur d’une corne unique qui sera plus massive que les cornes originellement produites naturellement par chacun des bourgeons germinatifs. Il poursuit ses expérimentations sur des chèvres et des moutons avec des résultats toujours positifs.

Unibull


En mars 1933, Dove réalise une opération déterminante auquel son nom restera attaché : sur un veau Airshire d’un jour, il prélève les deux bourgeons germinatifs et les réimplante côte à côte sur l’os frontal, dans le plan médian au-dessus de la ligne des yeux.

Il se contente de rectifier leur forme subcirculaire au niveau de la tangence pour accroître la zone de contact entre les deux…

Il observe effectivement le développement d’un disque embryonnaire sur le périoste sous-jacent, très large, qui induira un important cornillon et donnera effectivement naissance à une corne massive parfaitement constituée résultant de la « fusion » des deux cornes par la conjonction des deux amas germinatifs initiaux.

C’est un plein succès connu sous de nom de « Unibull », le taureau-licorne !

Un animal parfaitement viable à l’activité tout à fait normale, qui sera connu dans tous les USA et qui vivra son existence de bovin avec toutes les particularités comportementales de leader exposées ci-dessus par Lavers.



Théorie

En mai 1936, Dove expose officiellement sa théorie à l’Université du Maine :

« Les bourgeons germinatifs des cornes ne sont pas de nature proprement osseuse, mais leur présence sur toute zone périostique va induire un cornillon et la corne associée, en une réaction complexe avec l’os sous-jacent.

Ces bourgeons sont susceptibles de répartition aléatoire, bien que soumis comme le reste de la structure crâniale où ils se trouvent au déterminisme de l’architecture de l’animal.

En particulier, si pour un motif quelconque ces deux bourgeons exceptionnellement ne se séparaient pas au stade embryonnaire suivant le plan bilatéral classique de l’organisme, ou bien s’ils restaient accolés accidentellement dans le plan médian une fois séparés, sans migrer vers les zones temporales, ils induiraient par fusion une corne unique massive en position frontale. »

Cette théorie, jamais réfutée à ce jour, s’applique à priori au mécanisme d’apparition et de croissance des cornes de tous les animaux qui en sont pourvus.

Cela intéresse donc tous les Bovidae sauvages, en particuliers gazelles et antilopes, inexistantes en Europe occidentale mais fréquentes en Orient, Afrique ou Asie, susceptibles de développer exceptionnellement des spécimens de « licorne ».

Une réalité à rapprocher des témoignages rapportés par les descriptions de licorne tant en Europe de l’est qu’en Asie, en particulier à prendre en compte pour les licornes chinoises !

Pour être complet, nous mentionnerons l’existence dans la ménagerie du cirque Barnum d’une « harde de licornes » : des chèvres opérées suivant la technique élaborée par Dove.

Des animaux qui furent interdits finalement d’exposition au milieu des années 80, à la suite de l’intervention d’instances de protection animale arguant de ce que l’opération de ces chevreaux pour les rendre unicorne s’apparentait à de la maltraitance…


IV. Les Artiodactyles à « bois » : les Cervidae

- Les espèces concernées

Les Cervidae sont les représentants les plus importants de la faune sauvage artiodactyle européenne qui ne compte guère que quelques espèces, surtout montagnardes, de petits Bovidae (chamois, mouflons, bouquetins, chèvres diverses).

Si le nombre d’espèces présentes est assez limité, leurs populations ont toujours été importantes et les Cervidae ont évidemment - au-delà de l’art cynégétique, notamment la vénerie - largement été évoqués dans l’iconographie et la littérature notamment du monde chrétien médiéval : essentiellement cerfs et chevreuils.

Des populations relictuelles d’élans ont survécu jusqu’au Moyen Âge, au moins dans les plaines humides en France, en Belgique, mais aussi en Suisse et en Allemagne avant que la chasse (pour la viande et les trophées) ne les élimine de ces contrées. Cela est attesté par des textes ou des fossiles récents en France à l’époque gauloise jusqu’à l’an 250. Elles subsistent en Alsace au moins jusqu’au IXeme siècle.

Un texte mentionne un élan tué en 764 par deux seigneurs de la suite de Pépin le Bref à Nordlingen (Bavière).

Il est signalé comme encore commun en Suisse jusque vers l’an mille. Dans le Comté de Flandre où les zones humides étaient encore nombreuses avant les grands drainages médiévaux, les derniers élans auraient été tués vers l’an 900.

On ne peut donc exclure l’élan de la mythologie de la licorne.

Pas plus que les daims originaires d’Asie mineure, connus et importés en occident dès l’antiquité gréco-romaine.

(Néanmoins la présence de palmure sur les bois des élans et des daims semblerait les rendre moins susceptibles de donner naissance à des licornes.)

En revanche, les rennes strictement nordiques seraient à exclure ici de notre propos, de même que le sera la multitude des Cervidae asiatiques auxquels notre analyse pourra ensuite évidemment s’étendre.


- Le « bois »

Le bois est caractéristique des Cervidae et n’est porté que par les mâles (sauf chez les rennes).

C’est donc aussi un caractère sexuel secondaire pour lequel les hormones (notamment la testostérone) jouent un rôle déterminant. Nous évoquerons ici brièvement le cas du cerf, le plus emblématique et aussi le plus étudié.

La vénerie a, au fil des siècles, développé un vocabulaire spécifique que nous limiterons ici à ses termes les plus courants indispensables à la compréhension du processus de croissance et renouvellement des bois.

Tout comme chez les Bovidae, le « bois » est issu d’un organite osseux implanté sur l’os frontal : le pivot.

Ce pivot provient également d’un bourgeon germinatif.

La différence d’avec le cornillon des Bovidae est que ce pivot, structure osseuse frontale permanente, va avoir une taille très limitée et produira le « bois », caduque et renouvelé annuellement, qu’il va sécréter et nourrir grâce à une très riche vascularisation qui se poursuit extérieurement dans le velours, tissu cutané qui entoure l’os spongieux secrété et qui se desséchera et desquamera en lambeaux plus ou moins sanguinolents visibles en fin de la croissance.

La rapidité de la pousse osseuse des « bois » (en trois mois en moyenne) chez les Cervidés, est sans égale dans le règne animal. Ainsi le « bois » des Cervidae est anatomiquement un os véritable!

Les bois d’un cerf adulte vont peser entre deux et trois kilos : il s’en suit une déperdition considérable de calcium pour l’animal – qui le puise dans son squelette - lors de la calcification des bois, ce qui occasionne quasiment un syndrome d’ostéoporose. Le cerf devra donc compenser cette perte par alimentation, après chaque repousse des bois !

Corne et bois ne sont donc pas histologiquement et anatomiquement comparables.

Si la corne est un étui kératinisé permanent qui enveloppe le cornillon fait d’un os pneumatique (ou alvéolaire), le bois est un os spongieux, caduque, ramifié et calcifié en fin de croissance, qui pousse sur le pivot (p) de l’os frontal.

Sur le bois, caduc, on distingue à la base la meule (c) entourée d’excroissances dont la taille augmente avec l’âge de l’animal : les pierrures. Au-dessus, la hampe (b) ou merrain entouré des perlures (d’autant plus grosses que le bois poussé cette année-là est plus important), portera les andouillers et/ou cors et se terminera ramifié en empaumure.

Cette croissance, son arrêt, la chute des bois sont sous l’influence des variations cycliques de sécrétion de testostérone.

 

 

 






Ce qu’il importe se savoir ici est que tant que l’os est en croissance et recouvert du velours qui le nourrit, il reste relativement mou et fragile et est donc susceptible d’accidents, de heurts notamment aux branches, susceptibles d’altérer sa croissance et son développement, voire le supprimer complètement. Il en résulte une ramure asymétrique nommée « tête bizarde », si fréquente que la vénerie lui a décernée une sonnerie de trompe spéciale.

Mais tant que le pivot n’est pas altéré, la repousse pourra s’effectuer normalement l’année suivante.

Si le pivot est accidenté on pourra même avoir un animal portant un seul bois, ce qui n’est pas sans rappeler les dagornes précédemment évoquées….










Cette situation s’observe également chez le chevreuil bien que les bois n’étant pas aussi ramifiés, cela soit moins spectaculaire.

Si nous avons évoqué ici largement la question de l’asymétrie de la ramure par altération accidentelle du velours ou du pivot, la question de l’unicorne frontale reste posée.

Autrement dit, à l’image de la non séparation ou non dissémination frontale des bourgeons germinatifs générateurs des cornillons, peut-on imaginer, en suivant la théorie de Dove la non séparation des bourgeons germinatifs des pivots ?

La réponse est affirmative !

- Le chevreuil « Nicorne » de Prato

« Licorne » est photographié ici en 2008, à un an. C’est un chevreuil, « unicorne » centrale, né au parc naturel du Prato (Toscane).

Sa mère avait été heurtée par une voiture dans le parc pendant la gestation. Cela ne l’a pas empêché de donner naissance à deux faons parfaitement bien portants. (A la différence des cerfs où les biches n’ont qu’un faon par portée, les chevreuils en ont classiquement deux, parfois trois…)

« Licorne » a donc un frère : il est tout à fait normal, et sa ramure a deux bois bien symétriques.

Les spécialistes s’interrogent sur cette anomalie tout en soulignant que les chevreuils unicornes ne sont pas rares, mais pratiquement toujours en position latérales : ces têtes bizarres liées à un accident de ramure déjà évoquées.

Il est certain que « Licorne » vivant en parc naturel, très surveillé, permettra des analyses, entre autres génétiques, intéressantes qui pourraient éclairer la question. Cependant la normalité de son frère ne présage pas de découverte fructueuse dans ce domaine.

Il est clair que nous avons probablement ici un de ces cas rarissimes de fusion des bourgeons des pivots… Cela est-il dû au choc reçu par sa mère? Nous ne le saurons sans doute jamais, mais cela prouve que tels animaux existent bien…


















- La licorne de Slovénie

Le trophée ci-contre provient d’un chevreuil malencontreusement tué en Slovénie au mois d’août 2014.

On remarquera le fort développement du bois unique central, déjà âgé, la présence d’un très gros pivot qui a permis le développement d’une meule unique à grosses pierrures qui recouvre tout l’os frontal.

La scientifique slovène Boštjan Pokorny a authentifié la pièce comme étant bien un crâne de chevreuil âgé à ramure aberrante.

Selon elle : « La déformation du "chevreuil-licorne" n'avait en rien entravé sa croissance. En effet, l'animal était déjà âgé, et même plus lourd que la moyenne, quand le chasseur l'a tué. »

Kip Adams, directeur de la QDMA (organisme canadien de gestion raisonnée des populations de cervidés) et des meilleurs spécialistes du chevreuil n’a pas hésité à dire :

"Dans le cas de cet étrange mâle, les deux pédicules (On notera ici l’emploi canadien du mot « pédicule » au lieu de « pivot » utilisé classiquement) qui devraient être séparés, ont grandi ensemble en une grande pédicule »

C’est mot pour mot ce qu’aurait dit Franklin Dove : près de 80 ans après l’énoncé de sa théorie, c’est la justification physique appliquée aux Cervidae… Une rapide enquête conduit d’ailleurs à constater que ce cas n’est pas du tout unique, précisément dans les forêts slovènes.

Faut-il en déduire qu’un phénomène de dérive génétique est possible dans cette région ? La question reste ouverte…

 

En guise de conclusion…

Parvenus au terme de notre enquête, nous pouvons affirmer que les licornes existent et ont toujours existé.

La plupart des récits et représentations permettent de cliver très clairement ces animaux en deux types suivant la taille qui correspondent tout à fait aux situations évoquées tant en Europe qu’en Asie :

  • Grandes licornes au corps assimilé à « un cheval à tête de cerf » dont les grands Cervidés et les antilopes pourraient être à l’origine.

  • Petites licornes au corps assimilé à un âne ou une chèvre, dont les chevreuils et autres cervidés de petite taille, ou les gazelles pourraient être à l’origine, comme les ovins et caprins sauvages…

Si le narval n’est pas en cause, sa dent a enflammé l’imagination des peuples et a contribué à matérialiser le caractère fabuleux de ces animaux.

Pour ceux qui resteraient convaincus de la participation des Rhinoceridae à cette histoire, je les renvoie aux recommandations de Sainte Hildegarde de Bingen à propos des vertus curatives de la licorne.

Dans son ouvrage Physica, sive Subtilitatum diversarum naturarum creaturarum libri novem, sive Liber simplicis medicinae (1151-1158) elle recommande l’usage de la peau de licorne pour lutter contre fièvre et peste :

« …il te faut faire une ceinture de sa peau, t’en ceindre à même la peau et aucune peste et aucune fièvre ne pourra t’affecter. Fais aussi des chaussures avec sa peau et porte les : tu auras toujours les pieds sains… »

Si le façonnage de la peau de cervidé ou de bovidé ne pose guère de problème, on imaginera volontiers les difficultés insurmontables liées à la mise en forme d’une peau de pachyderme de près de 2 cm d’épaisseur en chaussures, surtout génératrices alors d’ampoules pour celui qui s’aventurerait à essayer de les porter !

Claude Timmerman

Notes :

1. L’appellation de « sabot fendu » comme celle de « pied fendu » sont particulièrement maladroites, sinon malheureuses, et zoologiquement totalement inexactes, fussent-elles originellement bibliques.

Il n’existe pas, sauf accident ou pathologie, de « sabot fendu » : le sabot est une enveloppe cornée (kératinisée) protectrice, qui enveloppe plus ou moins complètement la dernière phalange d’un doigt…

Pas plus qu’il n’existe normalement de « pied fendu ».

Il existe chez les Ongulés aux membres à nombre pair de doigts, la plupart n’ayant d’ailleurs que deux doigts en appui normal au sol, une symétrie axiale du pied qui apparaît donc extérieurement « fourchu » alors qu’il est terminé par deux sabots parfaitement entiers - parfois appelés « onglons » notamment chez les Ruminants de petite taille (caprins, ovins, gazelles) - qui ne sont nullement « fendus ». Il suffit pour s’en convaincre de regarder ci-dessous les sabots des doigts d’appui des membres antérieurs d’un bovin !


2. Faute de terme global adéquat pour désigner les diverses structures étudiées, nous avons repris - pour la clarté de l’exposé - le terme usuellement employé de « corne », que nous noterons partout entre guillemets dès qu’il désignera un appendice autre que la corne vraie, caractéristique du groupe des Bovidae comme nous l’exposerons.

3.  Pour les lecteurs intéressés on consultera avec profit, par exemple :

Zoologie II Vertébrés - GRASSE, Pierre-P & DEVILLERS, Charles- Masson et Cie Editeurs, Paris, 1965 ;

Biologie Animale- Zoologie II – Fasc 2- Mammifères – Anatomie comparée des Vertébrés - H Boué et R Chanton – Doin, Paris ;

Biologie animale  - Les Cordés, anatomie comparée des Vertébrést. 3, Beaumont A. et Cassier P., Paris, Dunod université, 1987.

Des ouvrages, certes aujourd’hui un peu anciens mais qui font toujours autorité, qui datent d’une époque où la rigueur de l’analyse n’était pas systématiquement manipulée pour s’inscrire dans une vision doctrinale et justifier certains récents délires évolutionnistes.