DES LIMITES DU PARADIGME PHYSICO-CHIMIQUE A L'EMERGENCE D'UNE EPISTEME PROPRE AU BIOLOGIQUE 


Le paradigme physico-chimique est insuffisant


La définition la plus simple et la plus complète du «vivant» se résumerait à ceci:

«La principale caractéristique d’un être vivant, par rapport au milieu minéral, est qu’il est un corps qui forme lui-même sa propre substance à partir de celles qu’il puise dans le milieu.

De ce phénomène d'assimilation, découlent tous les autres phénomènes propres au vivant:

- la régénération et le renouvellement de leurs tissus,

- la reproduction et le développement de l’organisme,

- l’évolution dans le temps par acquisition d’organes diversifiés et de facultés plus éminentes.

L’organisme vivant est inféodé au temps: il naît, vit et meurt.

Il se distingue également du minéral par le fait qu'il s'écarte durablement de l'équilibre thermodynamique selon un processus appelé homéostasie, phénomène par lequel un facteur clé (par exemple, température) est maintenu autour d'une valeur supposée bénéfique pour le système considéré, grâce à un processus de régulation

La question thermodynamique a longtemps hanté les physiciens dans la mesure où la vie semble, du moins en apparence, être contraire au second principe de la thermodynamique.

En substance, l'explication développée par Schrodinger consiste à rappeler qu'un système vivant n'est pas un système isolé et que donc s'il parvient à réduire ou maintenir constante son entropie, c'est parce qu'il exporte de l'entropie vers son environnement (typiquement donc, un organisme vivant produit des déchets).

Il a abordé le sujet en publiant en 1944 sur le sujet:«Qu'est-ce que la vie ?»


Reprenons point par point les caractéristiques précédentes à la lumière du paradigme physico-chimique.


Analyses des caractéristiques physico-chimiques considérées comme caractéristiques du vivant


Le phénomène d’assimilation et ses conséquences:

«L’être vivant forme sa propre substance à partir de celles qu’il puise dans le milieu.»

Est-ce une caractéristique du «vivant» ? La réponse est clairement non !


a) La croissance des cristaux

- Cristaux de sulfate de cuivre et autre.


La cristallisation et sa croissance est un phénomène si fréquent qu'elle conduit aujourd’hui à faire des jeux éducatifs et des concours scolaires voire universitaires !

 

- Cristaux de sélénite:

Il s’agit dans cet exemple particulièrement spectaculaire de cristaux géants de sulfate de calcium (gypse).

Grotte de Naica – Mine – Chihuahua – Mexique

300 m -  55° - 100% d’humidité

10 M 55T


Dans ce milieu, les cristaux connaissent une croissance continue.

Les personnages donnent l’échelle !

Pour la petite histoire, on notera que Jules Verne avait prévu (parmi tant d’autres !) la découverte de ce genre de structures décrites dans «Voyage au centre de la Terre». On connaît aussi des cristaux de quartz géants, etc.

Dans tous ces exemples, on notera cependant que si «l’être cristal puise effectivement sa substance dans le milieu environnant», il s’agit toujours de sa propre substance chimique présente sous un autre état physique: vapeur (grêle) ou liquide (composé chimique en solution).

Il n’y a pas là de «synthèse chimique»: il s’agit de la même substance sous deux états physiques !


b) les synthèses physico-chimiques

- L’œuf de Miller-Urey : à partir d’eau, méthane, ammoniac, hydrogène, on assiste sous l’impact de décharges électriques à la formation des premiers composés organiques azotés.

Formation de Acétylène, cyanoacétylène, etc.


Dans la nature, les gaz volcaniques sont constitués d'un mélange de différents gaz, essentiellement de la vapeur d'eau et du dioxyde de carbone ainsi que du dioxyde de soufre, du monoxyde de carbone, du sulfure d'hydrogène, du chlorure d'hydrogène ou encore du dihydrogène en quantités non négligeables.

C’est aussi ce que l’on observe dans les fameuses cheminées sous-marines.

Le méthane naturel atmosphérique a aujourd’hui disparu sur Terre, mais est présent dans les nuages interstellaires, sur Titan (même sous forme liquide) et diverses planètes...


c) Le pétrole abiotique: mythe et réalité

En 1757, le scientifique russe Mikhaïl Lomonossov formule plus clairement l'hypothèse selon laquelle le pétrole tirerait son origine de détritus biologiques.

Cette hypothèse est rejetée au début du XIXesiècle par le géologue et chimiste allemand Alexander von Humboldt et le thermodynamicien Gay-Lussac. Selon eux, le pétrole serait en fait un matériau primordial de la Terre issu de grandes profondeurs, qui parviendrait en surface par des éruptions à froid[].

A ce jour, aucune observation n’a cependant mis en évidence de façon claire l’existence de pétrole d’origine minérale profonde.

Pourtant, la présence indiscutable de très grandes quantités de carbone et de méthane sur Titan (satellite de Jupiter) et sur d’autres structures de type planétaire laissent penser que des synthèses caractéristiques de la chimie organique sont susceptibles de se produire dans un milieu uniquement «minéral».

On constate ainsi que dans le monde scientifique du physico-chimique l’existence d’une chimie carbonée considérée comme nécessairement associée à la transformation de la matière vivante est très clairement envisageable comme issue directement du minéral.


d) La pseudo-morphose

Dans ce processus, ma substance originale est remplacée graduellement par une substance différente, sans réactions chimiques.

Exemple : la silice remplace la fibre du bois en donnant le bois pétrifié.

Là encore, si le milieu fournit la substance, le bois l’absorbe sans qu’il soit le lieu de synthèse à proprement parler.

Au mieux, nous dirons que la silice dissoute qui imprègne le bois va s’y cristalliser: ce n’est qu’un changement de l’état physico-chimique de la substance.


e) La «reproduction cristalline»: surfusion du soufre

Le soufre fond à 115°

Il peut être obtenu sous deux formes cristallines : des octaèdres orthorhombiques ou en prismes monocliniques ; la forme orthorhombique étant la plus stable aux températures ordinaires.

Du soufre amorphe ou « plastique » peut être produit par refroidissement rapide du soufre fondu.

Les études par rayons X prouvent que la forme amorphe est formée d'une structure hélicoïdale avec huit atomes de soufre par spire.

L’expérience est classique :

Si on laisse refroidir un bain de soufre en fusion, on constate que sa température peut s’abaisser en dessous du point de solidification en restant liquide.

Il s’agit d’un état transitoire de la matière qualifié de « métastable ».

Il suffit alors d’introduire dans le milieu une particule de soufre cristallisée pour voir le bain entier se figer quasi immédiatement dans la forme cristalline correspondant à la particule de soufre introduite.

On peut donc dire que le phénomène de cristallisation est là le siège d’une forme de reproduction.

Le phénomène de régulation

Il existe dans les phénomènes physico-chimiques toutes sortes de régulations des équilibres, nous n’en évoquerons qu’une ici particulièrement importante.

Le produit de solubilité:

Exemple:

Une dissociation mono-ionique.

On calcule le produit ionique (produit des concentrations des ions en suspension) :

La concentration ionique porte donc en elle, par l’existence d’une constante Ks, sa propre régulation.

La dépendance au temps 

La dépendance au temps, intuitivement associée au vivant, concerne aussi le monde non vivant.

a) La radioactivité


τ cesium 137Cs = 30,15 ans

 

τ carbone 14C =

5730 ± 40ans



Utilisation : datations de produits organiques (vins, peintures, bois anciens, ivoire, etc...)

(Nous ne reprendrons pas ici les aberrations de datations qui sont liées non pas à la décomposition isotopique mais aux postulats de la méthodologie utilisée telle potassium/Argon.)

On notera que le césium 137Cs inconnu dans la nature n’y est présent que depuis l’expérimentation atomique et les essais nucléaires (1949). Par suite toute détection de cet isotope dans des «objets anciens» prouve l’existence de supercheries...


b) Évolution dans le temps

Certaines formes cristallines évoluent spontanément dans le temps, c’est notamment le cas du carbonate de calcium d’origine organique (coquilles de mollusques par exemple).

- Aragonite → Calcite

L’aragonite est la forme classique du carbonate de calcium présent dans les coquilles.

(C’est toujours du carbonate de calcium mais la cristallisation change du système orthorhombique au système rhomboédrique.) Les deux formes peuvent d’ailleurs coexister dans certaines coquilles (cas de l’ormeau). 


Caractéristiques considérées comme purement «minérales» du matériel biologique


a) Chimie du silicium et chimie du carbone

On oppose classiquement une chimie «minérale» associée au silicium à une chimie «organique» associée au carbone.

Nous avons vu que le méthane et d’autres substances non «biologiques» sont caractéristiques de la chimie du carbone. A l’inverse, le silicium n’est pas propre au «minéral». Chacun connaît par exemple les tiges de graminées riches en silicium...

Moins connues, mais plus spectaculaires, les Prêles ont des tiges si riches en silicium qu'elles sont utilisées comme abrasif!

D’une manière générale, il existe un type de tissu de soutien des végétaux dont le sclérenchyme, souvent riche en silicium.


b) Cristallisation

Nombre d’objets du monde vivant cristallisent.


- Protéines (lysozymes)

 

- Virus

 

La cristallisation n’est donc pas caractéristique du «minéral»!

Au terme de cette évocation de propriétés classiques, nous voyons que la réduction du vivant au simple contexte physico-chimique ne permet ni de le différencier clairement, ni d’en spécifier les singularités.

 

Claude Timmerman