Un chimiste britannique a découvert que l’assemblage des briques du vivant aurait pu se produire dans de simples flaques d’eau.

La chimie des origines de la vie, aussi appelée chimie prébiotique, se heurte depuis longtemps au paradoxe de l’œuf et de la poule dans sa version la plus originelle: le matériel génétique, ARN ou ADN, est-il apparu avant ou après les protéines? Il faut en effet un code génétique pour fabriquer des protéines. Mais il faut des enzymes, un type de protéine particulier, pour traduire ce code. En d’autres termes, il faut des protéines pour fabriquer des protéines. Un cercle vicieux de la pire espèce.

Pour en sortir, deux solutions : la théorie du monde ARN (acide ribonucléique) selon laquelle les ARN originels fonctionnaient sans enzymes (étant eux-mêmes capables de remplir le rôle de certaines enzymes indispensables à l’émergence et au maintien d’une vie minimale) ; et la théorie de la coévolution qui prévoit l’apparition à peu près simultanée sur Terre des protéines et des ARN. C’est vers ce deuxième scénario que semble aujourd’hui pencher le chercheur anglais John Sutherland.

En 2009, ce grand spécialiste de la chimie prébiotique réussissait à fabriquer, à partir de molécules très simples, deux des quatre types de ribonucléotides dont l’enchaînement forme les brins d’ARN. Cette grande découverte faisait alors pencher la balance en faveur de la théorie du «monde ARN». Mais il démontre aujourd’hui dans la revue Nature Chemistry être capable de fabriquer également plus d’une dizaine d’acides aminés, les briques élémentaires qui forment les protéines, par des procédés similaires.

«Il suffirait en quelque sorte de mettre dans de l’eau du sulfure d’hydrogène (H2S) et du cyanure d’hydrogène (HCN), deux molécules très simples qui devaient être abondantes sur la Terre primitive, puis de placer ce mélange sous un rayonnement UV avec du cuivre comme catalyseur pour obtenir à la fois des acides aminés et des ribonucléotides», s’enthousiasme Laurent Boiteau, chercheur CNRS à l’Institut des biomolécules Max Mousseron de Montpellier.

En pratique, toutefois, il n’est pas si simple d’obtenir tous les intermédiaires réactionnels nécessaires à la formation spontanée de ces briques élémentaires. «Il faut que certaines réactions se fassent dans des flaques isolées les unes des autres, que se produisent certains ruissellements pour mettre en contact des espèces formées dans des flaques différentes et que l’évaporation de l’eau puisse concentrer les réactifs comme il faut», détaille le chimiste. «Dans le cas contraire, certaines réactions prennent le pas sur les autres

Protéines, lipides, ARN : les trois piliers de la vie pourraient donc s’être formés en parallèle

Avec ce scénario, John Sutherland ne se contente pas de fabriquer les constituants de base de l’ARN et des protéines: il a aussi identifié une troisième chaîne réactionnelle produisant un précurseur des lipides. Une piste pour résoudre un autre paradoxe de la chimie prébiotique: pour que l’ARN produise des protéines et se réplique correctement, il faut aussi qu’il soit capable de s’isoler du monde extérieur dans une poche étanche. Or toutes les enveloppes cellulaires qui existent aujourd’hui sont formées de lipides… qui ont besoin de protéines pour se former!

Protéines, lipides, ARN: les trois piliers de la vie pourraient donc s’être formés en parallèle à partir des mêmes précurseurs. «Ce sont des travaux très importants qui vont marquer la discipline», pense Jean-Luc Decout, professeur de chimie à l’université Grenoble-Alpes. «C’est une sorte d’unification des différentes chaînes réactionnelles de la chimie prébiotique. Il manque encore dans ces processus la synthèse de deux nucléotides, mais je pense que cela se fera dans les années à venir.»

Reste encore à comprendre comment les ribonucléotides se lient les uns aux autres pour former de l’ARN, et comment les acides aminés parviennent à se combiner pour former des protéines. «On a aussi beaucoup à faire pour préciser la manière dont les premiers ARN pouvaient s’autorépliquer ou être répliqués», souligne le Pr Decout.

Il est déjà fascinant de voir émerger un début de description globale et expérimentale du chemin qui pourrait avoir été emprunté par la vie sur la Terre primitive. Il faudra néanmoins du temps pour défricher cette longue route, chaque pas introduisant un niveau de complexité supplémentaire rendant la modélisation et l’expérimentation un peu plus délicates.

Source : http://www.yamar.org/2015/03/29/un-nouveau-scenario-pour-lapparition-de-la-vie/