A l’occasion de la sortie « Corrida la Honte », Vegemag a rencontré Roger Lahana, auteur du livre et vice-président du CRAC Europe.

L’abolition de la corrida est-elle toujours possible alors que la pratique est désormais inscrite au patrimoine immatériel français ?

Bien sûr, cela n’a aucun rapport. L’inscription au patrimoine culturel immatériel (PCI) est une mesure symbolique, qui n’induit rien d’autre que des avantages symboliques. S’agissant de la corrida, son inscription s’est faite dans l’opacité la plus totale et à l’insu même du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, comme il l’a ensuite révélé dans un livre. Cette inscription est d’ailleurs si peu glorieuse qu’elle ne figure nulle part, ni sur le site du ministère, ni ailleurs.

Quoi qu’il en soit, une inscription peut toujours être annulée. Le ministre le peut en théorie, mais tant qu’il sera sous contrôle d’un premier ministre pro-corrida il ne le fera pas. C’était le cas avec Fillon, puis Ayrault et aujourd’hui Valls. Par ailleurs, nous avons également une procédure en cours (CRAC Europe et Droits des animaux) pour faire annuler cette inscription sur des fondements juridiques.

Nous attendons l’audience prochaine de la Cour d’appel du tribunal administratif de Paris. Si nécessaire, les associations iront devant la Cour européenne des droits de l’homme afin de faire supprimer cette aberration. Mais quoi qu’il en soit, si nous parvenons à faire abolir la corrida au niveau législatif ou si nous finissons par l’asphyxier financièrement en agissant pour accélérer la désaffection du public, son inscription deviendra, de fait, caduque.

Pourquoi est-ce si difficile en France de faire interdire la corrida ?

Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ceux qui s’enrichissent avec cette industrie sinistre (très peu nombreux) ou se régalent de ses spectacles de souffrance forment un lobby extrêmement puissant. Alors que 75% des Français sont contre la corrida, ses soutiens sont surreprésentés dans le monde politique. Il faut croire que le goût du pouvoir s’accompagne souvent de celui du sang et, au minimum, de celui de dominer ou d’humilier. Depuis une dizaine d’années, pas moins de 9 projets de proposition de loi (PPL) ont été déposés par des parlementaires de tous bords pour demander l’abolition de la corrida, en l’occurrence l’abrogation d’un simple alinéa qui autorise les « sévices graves et actes de cruauté envers des animaux » (c’est la définition qu’en donne le Code pénal) à condition qu’une « tradition locale ininterrompue » le justifie. Pas une seule de ces propositions de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée nationale ou du sénat. Pas une seule. Pourtant, les députés sont supposés représenter le peuple. Où est la démocratie ?

Un problème additionnel est que la plupart des Français ignorent qu’environ 130 corridas par an se pratiquent toujours dans le sud de notre pays. Ils sont contre la corrida comme ils sont contre le travail des enfants dans certains pays lointains, cela ne les concerne pas vraiment au quotidien. Et quand on leur parle de corrida, ils pensent que c’est un simple jeu esthétique, voire chorégraphique, entre en torero et un taureau sans réaliser que ce dernier est transpercé à de multiples reprises pour lui faire perdre le plus de sang possible mais pas trop vite pour que l’agonie dure au moins une vingtaine de minutes, sinon les spectateurs seraient mécontents. Cet aspect sadique et cruel échappe à beaucoup de gens dans le grand public. A chaque fois qu’on peut montrer des images de la réalité de ce que subissent les taureaux, on a une réaction de dégoût unanime, assortie d’un« je ne savais pas que c’était ça ». Il y a donc encore beaucoup à faire pour informer le plus grand nombre. Car si les électeurs que nous sommes tous sont sensibilisés à l’ignominie d’avoir des spectacles de torture autorisés en France, ils pourront faire pression sur leurs députés pour les faire enfin abolir.

Vous multipliez pourtant les actions de terrain…

Oui, nous les enchaînons sans cesse afin de faire bouger les lignes grâce au retentissement médiatique que nous obtenons de plus en plus. Non seulement notre présence devant les arènes rend les choses très désagréables pour les gens qui y vont et découragent de plus en plus d’entre eux d’y retourner, mais la presse en reprenant nos actions fait savoir que cette barbarie existe toujours – du moins la presse non partisane puisqu’une large partie des médias du sud de la France soutient les corridas et nous présente donc comme des excités ultra-violents, alors que nous sommes pacifistes et qu’il n’existe aucune photo montrant un anti-corrida commettre la moindre violence.

Nous sommes même surveillés et mis sur écoute par le Bureau de Lutte Antiterroriste, c’est dire si nous sommes hautement considérés par notre cher premier ministre auparavant ministre de l’Intérieur. Pourtant, nous n’avons enlevé personne, ni posé des bombes ou détourné des avions. Nous avons juste demandé qu’on interdise de torturer des animaux dans le sud de la France, ce qui est déjà le cas sur les 90% restants du pays. En parallèle, nous menons également des actions juridiques et des opérations d’information à l’attention des parlementaires.

Et le parlement européen, peut-il faire quelque chose de concret ?

Le verrouillage du lobby tauromachique est extrêmement solide à ce niveau aussi. Pourtant, on pourrait se dire qu’avec 25 Etats-membres sur 28 pour qui la corrida est illégale, il devrait être simple de l’imposer aux trois autres (France, Espagne, Portugal) en fermant simplement le robinet des subventions massives (plusieurs centaines de millions d’euros) dont jouissent les élevages de taureaux massacrés dans les arènes grâce à la PAC qui est financée par les impôts de tous les Européens. Mais, comme souvent dès qu’un sujet touche à la corrida, le circuit de décision au niveau européen n’a rien de démocratique ou de sensé. C’est le règne des petits arrangements crapuleux entre « amis »: tu ne m’embêtes pas avec la corrida et je ne te dis rien sur le massacre des globicéphales dans les îles Féroé ou celui des coqs de bruyère en Ecosse. Mon livre en apporte la preuve formelle, révélée par Alain Lamassoure, aficionado convaincu et député européen, lors de l’une de ses venues à Nîmes où il s’en est vanté devant des journalistes.

Quelle est la chance pour un taureau entrant dans une arène d’échapper à la mort ?

Aucune. Il faut arrêter de croire au mythe du taureau « gracié » parce qu’il a combattu « bravement ». Les guillemets s’imposent, s’agissant non pas de bravoure mais de désespoir, celui d’un animal qui se retrouve harcelé et tailladé par des humains qu’il a considéré toute sa vie comme des gens qui le nourrissaient mais aussi le rudoyaient régulièrement (marquage au fer rouge des jeunes, tests violents sur les femelles avant mise à la reproduction ou envoi à l’abattoir), et qui, tout à coup, le poussent dans un camion, lui font subir toutes sortes de traumatismes pour le paniquer et l’affaiblir et lui donnent l’espoir fugitif d’être relâché quand les portes de l’arène s’ouvrent et qu’il se rue dans une enceinte dont il ne sortira plus vivant après 20 minutes de tortures épouvantables.

Lors d’une corrida, le taureau a les muscles du cou sectionnés par le picador, ce qui le force ensuite à garder la tête baissée non parce qu’il est menaçant mais parce qu’il ne peut plus la tenir droite. Puis les banderilleros lui enfoncent dans le dos jusqu’à six harpons munis d’une pointe anti-retour en acier, ce qui crée une hémorragie massive. Quand vient enfin le tour du matador (mot espagnol qui veut dire « tueur, » ça a le mérite d’être clair), l’animal suffoque, langue tirée, tellement il a perdu de sang. Quand bien même il serait « gracié », il succomberait dans les minutes ou les heures qui suivent hors de la vue du public.

Les aficionados avancent souvent que les taureaux ont une belle vie avant d’entrer dans une arène…

C’est très discutable car l’animal subit des violences bien avant son entrée dans l’arène. Et quand bien même, est-ce que le fait d’avoir une belle vie justifierait qu’il y soit mis fin par la torture ? Imaginez-vous de prendre un chat ou un chien chez vous dès sa naissance, de lui offrir la plus belle des vies pendant trois à quatre ans et soudain, de le mettre dans un enclos où quatre hommes vont venir le torturer à l’arme blanche pendant vingt minutes jusqu’à ce qu’il succombe ? Est-ce que la belle vie que vous lui aurez fait connaître fait de son agonie une apothéose enviable ?

Dans votre livre vous abordez un chapitre très détaillé sur l’économie des corridas. La filière est-elle en bonne santé ?

Les corridas sont toujours déficitaires, à quelques très rares exceptions près. Elles ne survivent que grâce aux subventions municipales, régionales, nationales et européennes et aussi grâce aux subventions illégales que constituent les achats massifs de place par les collectivités, comme c’est le cas depuis des années dans les Bouches-du-Rhône (un rapport de la Cour des comptes vient de le confirmer). Les seuls qui s’enrichissent sont les organisateurs de corridas et les toreros les plus célèbres qui peuvent prendre jusqu’à 100.000 euros par prestation. La fraude est omniprésente pour préserver les profits de quelques-uns. De nombreux exemples étayés sont en effet donnés dans le livre.

Où en sommes-nous dans les plaintes déposées par les activistes suite à l’action anti-corrida de Rodilhan en 2011 ?

Nous sommes en attente de la tenue du procès. La procureure en charge du dossier a bouclé son instruction en octobre dernier. Depuis, c’est silence radio. On peut imaginer qu’elle subit de très fortes pressions pour retarder le plus possible les choses, sachant que sont directement mis en cause le maire de Nîmes et celui de Rodilhan, que l’on voit parfaitement sur les vidéos de ce lynchage sauvage en train de se réjouir du spectacle et de le laisser se dérouler au lieu de jouer leur rôle de garants de l’ordre public.

Nos avocats font tout ce qui est possible pour obtenir une date. Mais pour le moment, ils ont l’impression de s’adresser à un mur. Après le déni de démocratie, va-t-on assister à un déni de justice ? Si tel est le cas, nous remonterons s’il le faut jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour en savoir plus:

Corrida la honte - Roger Lahana

« Fraude fiscale, mensonges, arnaques, tricheries, perversion, intox, corruption, inversion des valeurs, fiasco financier, détournements de fonds publics, noyautage politico-judiciaire, torture, sédition, déviances sexuelles, violences en réunion, troubles à l’ordre public, dévoiement de mineurs… la liste de turpitudes peu glorieuses est longue lorsque l’on commence à s’intéresser à l’univers de la tauromachie au-delà de l’aspect esthétique fallacieux qu’elle tente d’imposer aux yeux du grand public. Véritable enquête menée pendant plus de deux ans, « Corrida la honte » est l’ouvrage incontournable pour qui souhaite avoir un avis éclairé sur la question.»

Préface de Jean-Pierre Garrigues
324 pages, texte + photos.
Tous les droits d’auteur sont reversés au CRAC Europe


Source : http://www.vegemag.fr/actualite/roger-lahana-les-corridas-ne-survivent-que-grace-aux-subventions-publiques-2141