SECONDE PARTIE 

Quand l’homme s’aidait des prédateurs naturels

S’il est de bon ton aujourd’hui de massacrer partout, au nom du productivisme, les prédateurs biologiques classiques pourtant associés à la chaîne alimentaire, ce ne fut pas toujours le cas... Ainsi, l’homme a su utiliser des espèces animales pour lutter contre les espèces nuisibles, notamment les lapins et les rongeurs ! C’est ainsi que dès l’Antiquité on a domestiqué de petits carnivores prédateurs, notamment des Mustellidés ! Grecs et Romains avaient vite compris que certaines espèces « sauvages » étaient de précieuses alliées car elles les débarrassaient de nombreux petits animaux aux effets particulièrement dévastateurs sur les récoltes...

La genette d'Europe (Genetta genetta felina) ramenée d’Afrique par les Grecs, puis les Maures

Hérodote aurait déjà évoqué la présence de la genette domestiquée dans les maisons pour lutter contre les rongeurs. On soupçonne depuis longtemps le fait que les populations européennes actuelles aient comme origine des genettes introduites et naturalisées par les Romains ou les Maures pour défendre les récoltes contre les rongeurs. De plus, son aire de répartition très limitée laissait supposer que sa survie aurait pu avoir été favorisée dans ces régions par l'Homme.

Il est symptomatique de constater que l’aire de répartition de la genette d’Europe coïncide très exactement avec celle de l’occupation hispano-mauresque, à l’exception d’une extension plus récente au XVIII ème puis à la fin XIX ème siècle, vers l’Est et la vallée du Rhône associée au développement des ouvrages d’art et notamment les ponts qui ont permis à la genette de franchir les grosses rivières!

Une étude du génome mitochondrial a montré que la genette dite « européenne » était génétiquement proche des genettes du Maghreb.

On peut penser que la dynastie des Almohades pourrait avoir été à l'origine - au XIIe siècle - de son introduction dans le califat de Cordoue, car la diversité génétique de la genette européenne est plus élevée dans les zones conquises par les Maures et où ils ont longtemps vécu (Baléares, Espagne méridionale et Catalogne). Mais quelques introductions plus précoces seraient également possibles.

Après avoir été abandonnée par l’homme au profit du chat dès la fin du Moyen Age, puis avoir été classée comme nuisible et chassée pour sa fourrure en tant qu’espèce à « sauvagine », la genette d’Europe à la queue si spectaculaire (presque aussi longue que le corps !) figure enfin aujourd’hui au nombre des espèces protégées !






vert: genette africaine

rouge : genette d'Europe

                                                  

                                                                                                                                répartition suivant points rouges

 

                                                                                                                                                                           

 


La fouine, domestiquée déjà par les Romains, puis dans toute l’Europe au Moyen Age

Fouine : Martes foina

Les fouines sont des animaux solitaires, comme la plupart des autres espèces de martres. Elles évitent leurs congénères en dehors des périodes de reproduction. Il s'agit d'animaux territoriaux qui marquent leur territoire avec des secrétions et le défendent au moins contre d'autres fouines de même sexe.

La grandeur du territoire de chasse varie notablement de 15 à 200 hectares. Il est plus petit en hiver qu’en été et plus important pour les mâles que pour les femelles. Il reste inférieur à celui de sa cousine la martre des pins qui est strictement arboricole alors que la fouine est typiquement terrestre.

La fouine se déplacera d’autant plus que la nourriture est plus rare... Son activité est surtout nocturne. Elle est opportuniste et se nourrit selon les saisons, de petits mammifères, de fruits, d'oiseaux, de déchets trouvés près des habitations. Il lui arrive de dévaster un poulailler lorsqu'elle est à la recherche d'œufs. Excitée par la panique créée chez les poules, elle tue alors tout ce qui bouge...

Utilisée depuis l’antiquité pour détruire les rongeurs et les chasser des maisons, la fouine a été comme les autres mustélidés domestiqués abandonnée à la fin du Moyen Age, au profit du chat...

Sur les constructions du Moyen Age on notera souvent la présence de larmiers, en saillie à mi-hauteur des murs, pour empêcher les fouines et les belettes de monter investir les combles... On retrouve également ce dispositif architectural, là appelé randière, sur les pigeonniers pour interdire l’accès de ces carnivores aux boulins...

La fouine aujourd’hui est naturellement considérée comme nuisible, ce qui permet sa destruction sans restriction tout au long de l’année...

Ce qui prive aussi le biotope d’un auxiliaire précieux dans la lutte contre les rongeurs si réellement nuisibles !




                                                                                                   Martre d’Europe (dite M. des pins) : Martes martes



                                                         Randière du pigeonnier de Saint Blin (52)

 

La belette ( Mustelle nivalis)

La belette est l’un des principaux régulateur des populations de rongeurs, au point que la régulation de ses populations (hors méfaits de l’activité humaine) est directement corrélée à la pullulation des rongeurs champêtres. Elle ne dédaigne pas non plus les batraciens et les petits lapins. Bonne grimpeuse elle s’attaque aussi aux nids.

C’est un chasseur redoutable à l’activité infatigable.

C’est sans doute la raison pour laquelle la belette fut introduite en Nouvelle Zélande pour lutter contre la pullulation des rats et souris, importés involontairement par l’homme !

Inutile d’évoquer les dégâts irrémédiables occasionnés par sa présence sur la faune locale marsupiale endémique ! La belette a aussi été introduite en Amérique du Nord... avec les mêmes effets...


La belette est évidemment classée comme « nuisible », non seulement parce qu’elle commet des ravages parfois dans les poulaillers, mais aussi parce qu’elle n’hésite pas à s’attaquer aux perdreaux et autres gallinacés faisant l’objet de lâchers de gibier, ce qui ne fait pas l’affaire des chasseurs...

Pourtant la belette a des prédateurs naturels qui assurent une régulation certaine de ses populations :

l’hermine, le renard et les rapaces, sans parler des chats et des chiens...

Mais encore faudrait-il respecter ces prédateurs...

L'Hermine


Grand régulateur de populations de rongeurs, (rats et lapins) l’hermine a été aussi importée en Nouvelle Zélande avec les conséquences catastrophiques sur la faune endémique marsupiale qu’on peut imaginer !L’hermine est aussi un prédateur de la belette, ce qui en fait un agent régulateur de ses populations. On pourrait continuer longtemps, en insistant notamment sur les catastrophes occasionnées par l’introduction d’espèces étrangères dans notre faune européenne...



Hermines en robe d'été et d'hiver

Le bout de la queue reste toujours noir, ce qui permet de la distinguer de la belette



Le vison d’Amérique

En rouge : région d’origine

En rosé : régions d’introduction


Plus gros que l’européen, il est aujourd’hui endémique en Europe à la suite de la multiplication d’individus échappés de cage, élevés en France et dans d’autres pays occidentaux pour sa fourrure, il entre en concurrence avec le vison d’Europe, endémique, maintenant, lui, carrément en voie de disparition !



Le furet et le putois (Mustea pustorius)

Le furet n'existe pas naturellement à l'état sauvage. Traditionnellement utilisé pour la chasse aux rongeurs près des habitations et au lapin dans les terriers, le furet est également élevé pour sa fourrure et comme animal de laboratoire. Il est de nos jours apprécié aussi comme animal de compagnie.

Il existe deux grandes variétés de furets : le furet albinos (absence de pigmentation) et le furet putoisé (pigmenté).

Le furet de chasse est employé pour déloger les lapins au terrier où il peut s’avérer être un redoutable destructeur de portées.


Il a été très utilisé par les femmes à qui ce type de chasse, comme la fauconnerie, était autorisé...

Le furet putoisé apparait plus tardivement, au XIXème siècle, il est alors décrit comme étant un hybride entre un furet albinos traditionnel et un putois sauvage. Il a (re)pris à celui-ci un caractère parfois plus vindicatif et...éventuellement volontiers mordeur si on le manipule sans précautions ce qui lui avait valu la méfiance des chasseurs...

On voit donc que parfois sans grand discernement quant à ses réintroductions, l’homme utilisé certains prédateurs pour sa capacité à détruire d’autres espèces, notamment lapins et rongeurs.

Pourtant, il n’hésite pas paradoxalement à chercher aujourd’hui à les exterminer sans pitié, confiant dans la capacité bien illusoire de ses pièges, de ses poisons et des chasseurs pour éradiquer les rongeurs indésirables... Et cela ne marche pas toujours ! Malgré leur inépuisable capacité de destruction, les agriculteurs, si prompts à vouloir éradiquer les « nuisibles » se trouvent parfois dans l’incapacité de juguler la pullulation des rats des champs ou des lapins...

Mais ils ont tous les culots : au lieu de comprendre la leçon et de laisser les « nuisibles » faire leur travail, ils n’hésitent pas alors à s’en prendre... aux chasseurs jugés « incapables » de contrôler ces populations...

C’est d’autant plus comique que la plupart du temps en milieu rural, les chasseurs locaux sont... les agriculteurs du coin ! Mais qu’à cela ne tienne : s’en prendre aux chasseurs permet aux agriculteurs de toucher des Sociétés de Chasses de substantielles « réparations » financières pour les dégâts causés par le gibier ! Ce qui s’appelle « gagner sur les deux tableaux » ! C’est exactement ce qui vient d’arriver en Charente-Maritime : un vigneron a déposé une plainte contre les chasseurs, il leur reproche la prolifération des lapins, responsables d’importants dégâts aux cultures.

La grande idée des agriculteurs est aujourd’hui d’expliquer que les chasseurs favorisent les populations d’animaux qu’ils jugent nuisibles aux cultures pour le plaisir de la chasse... On reparlera des sangliers toujours incriminés, mais c’est évidemment aussi le cas des lapins. C’est vrai que les agriculteurs préfèrent employer la myxomatose qu’ils répandent saison après saison avec délectation sans que des mesures efficaces de rétorsion soient prises à leur encontre...

S’ils commençaient par se souvenir du rôle autrefois si justement prisé par leurs ancêtres, des fameux « nuisibles », et par accepter de nouveau leur présence, nous n’en serions pas là !

Claude Timmerman