PREMIERE PARTIE :

Le poisson chat

Chacun connaît cette histoire allégorique de l’empereur de chine qui ordonna de tuer tous les oiseaux parce qu’ils mangeaient une partie des récoltes... jusqu’à ce que celles-ci fussent totalement ravagées par les insectes... Alors on protégea les oiseaux, les seuls capables de débarrasser les récoltes des insectes ravageurs... Et l’empereur de Chine comprit qu’il fallait respecter un équilibre entre les espèces, et laisser une place aux acteurs de la Nature pour que l’homme et ses activités puissent s’y insérer harmonieusement...

L’homme a partout saccagé les milieux naturels, tant par ses destructions que par l’introduction irréfléchie d’espèces exogènes. L’Histoire fourmille d’affaires anciennes plus ou moins dramatiques, aux conséquences toujours actuelles, ayant toutes comme point commun le refus du respect des équilibres naturels et l’incroyable fatuité de l’être humain qui s’estime évidemment capable de les « corriger » à son avantage... Ce qui n’est pourtant jamais le cas !

En son temps chacun s’était récrié devant le fameux « plan de réorganisation de la nature» promulgué par Staline après la guerre... Si Staline a disparu, ce plan a hélas partiellement été mis en œuvre - au moins pour ce qui concerne l’irrigation des états cotonniers comme l’Ouzbékistan - avec comme premier résultat le détournement des eaux des fleuves alimentant la mer d’Aral qui s’est rétrécie comme peau de chagrin dans l’indifférence générale, et qui va disparaître totalement d’ici trente ans... On aura ainsi créé à moyen terme, à la place d’une zone naturelle florissante, un nouveau désert...

L’introduction d’espèces allogènes par l’homme a été la source de drames sans précédents...

Faute de prédateurs idoines inexistant dans le milieu naturel avant leur introduction, ces espèces se reproduisent sans frein et constituent rapidement une menace pour les équilibres biologiques locaux. Le cas de l’introduction des mammifères placentaires au milieu de la faune marsupiale en Australie et Nouvelle Zélande est surtout connu par les ravages du lapin devenu menace nationale prioritaire qui coûte des millions de dollars chaque année...



On ignore trop souvent le cas des troupeaux de chevaux sauvages (« brumbies », équivalents biologiques des mustangs américains) et les hardes de dromadaires, qui, importés au XIX ème siècle pour les besoins des hommes, puis abandonnés et retournés à l’état sauvage, ont proliféré et entrent aujourd’hui en compétition avec les animaux d’élevage sur les terres de pacage. Soit environ 1 million de dromadaires (zone orangée sur la carte ci-contre).

Alors l’homme se venge de sa propre bêtise en employant la seule technique qu’il connaisse : le massacre aveugle ! Il en profite au passage  pour éradiquer la faune locale originelle: c’est ce à quoi on assiste avec l’impitoyable massacre qualifié de « chasse » des grands kangourous par les éleveurs, le sport national...


En Nouvelle Zélande, l’introduction du cerf destiné aux joies de la chasse pour les immigrants a été un cataclysme écologique pour les forêts... Et on ne parlera pas du chat ou de l’opossum à fourrure...

Partout, on constate que la modification par l’homme des équilibres biologiques naturels conduit à des catastrophes non maîtrisées... Notre pays n’y échappe pas ! Ainsi, le ragondin (myocastor) espèce sud-américaine, et l’ondatra (rat musqué) espèce nord-américaine, ont été tous deux volontairement importés pour leur fourrure au XIX ème siècle. Ces espèces amphibies sont très prolifiques. Elles se sont reproduites à partir d’individus échappés ou volontairement relâchés d’élevages en faillite, et, redevenus sauvages, elles constituent aujourd’hui, à cause des galeries que ces animaux creusent, une très grave menace pour les berges et les digues !

 



Ragondin 


Ondatra








La tortue de Floride ou la grenouille taureau, qui prolifèrent dans nos cours d’eau à la suite du relâché d’individus provenant de terrarium, constituent aujourd’hui une menace très grave pour l’équilibre de la faune endémique indigène des milieux humides. On pourrait multiplier les exemples...

Certaines espèces sont heureusement moins envahissantes (moins invasives) et ne menacent pas les équilibres biologiques, on peut ainsi citer :

- Les « kangourous » de la forêt de Rambouillet (en réalité des wallabies gris à cou rouge, échappés initialement du parc d’Emancé) qui ont fait souche (une cinquantaine d’individus) et qui commencent à coloniser la vallée de Chevreuse pour le plus amusement des riverains...

- Les chevreuils des marais dits « hydropotes » (H. inermis)

Ces petits cervidés originaires d’Asie sont proches des chevrotains porte-musc et comme eux présentent deux canines supérieures démesurées.

Pesant une quinzaine de kilos pour environ 1 m, ces petits herbivores très pacifiques semblent affectionner les troupeaux de bovins auxquels ils se mêlent sans problème

On en connaît une petite population sauvage d’une quinzaine d’individus qui semble avoir fait souche dans l’est du Limousin issue d’individus évadés d’un parc animalier...


  - Le chien viverrin (Nyctereutes procyonoide)

Originaire de Sibérie orientale (rives de l’Amour),  cet étrange chien nocturne, proche du raton laveur, d’environ 60 cm, a été volontairement introduit pour sa fourrure en Russie d’Europe à l’époque de la guerre (40/ 50)...On suit depuis la migration vers l’ouest de cet étrange canidé (le seul à hiberner !) qui après avoir envahi l’Allemagne il y a une dizaine d’années, arrive maintenant en France !Pour faire plaisir aux chasseurs on l’a aussitôt déclaré nuisible... Peut être même pourrait-il être enragé ?




Le milieu aquatique n’échappe pas aux problèmes invasifs d’origine humaine, même là où son isolement relatif pouvait constituer une certaine protection, comme les lacs et jusqu’à un certain point les rivières...

C’était compter sans les pêcheurs qui depuis des décennies, pour le plaisir de la « prise », ont modifié de façon conséquente la faune des milieux dulçaquicoles.

Orconectes limosus

Originaire d’Amérique Orientale, cette écrevisse a été importée en Europe vers 1880 car elle est plus grosse, et peu exigeante. Elle tolère des températures basses (voisines de 0°c) et est très prolifique. Elle a très vite envahi tous les cours d’eau, ravage tout  et menace l’écrevisse indigène.

Du coup, considérée comme nuisible - le mot magique - elle peut être pêchée toute l’année sans aucune contrainte de taille ! Un rêve pour les pêcheurs non ?

 

Le principal problème d’équilibre des espèces en rivières était jusqu’ici lié à la pêche à la truite !

La truite est en effet un poisson qui « résiste », ce qui donne au pêcheur l’illusion d’un combat subtil...

Du coup, la pêche en étant très prisée, pour satisfaire les « pêcheurs sportifs » les sociétés de pêche procèdent à des lâchés de truites périodiques dans les cours d’eau, pour la plus grande satisfaction de leur clientèle...

Or la truite est un carnassier et un prédateur redoutable à qui rien ne résiste : ni les poissons ni les alevins, ni les têtards ni les petits amphibiens, ni les crustacés ni les insectes... Une rivière « à truite » est rapidement un milieu totalement ravagé voire sinistré si la densité de truites est trop forte !

Imaginons que la truite ait quatre pattes, ce serait au moins un renard, sinon un loup (qui serait plutôt le brochet dans l’histoire). Imagineriez-vous voir des populations de renards d’élevage lâchés en forêt, mois après mois, au prétexte que cela fait plaisir aux chasseurs ?

C’est exactement ce qui se pratique avec les truites...

Entre l’écrevisse américaine et la truite, on a plus besoin de la pollution pour ravager efficacement les rivières !

Les seuls cours d’eau où le milieu est à peu près conservé et respecté aujourd’hui sont ceux qui sont à l’abri des truites : des milieux d’eau plutôt dormante où la truite ne se plaît pas vraiment et où le grand prédateur de fond est le brochet, qui a ailleurs disparu chassé de son habitat par la truite !

Mais l’imagination des pêcheurs est sans limites...

Certains d’entre eux connaissaient les silures glanes d’Europe Orientale, ceux des bords de la mer Caspienne et de la mer d’Azov, ou ceux des bords de la mer Noire, notamment ceux de l’estuaire du Danube...

Ils rêvaient de prises record, de ces spécimens de plus de deux cents, voire proches de trois cents kilos...

On savait que les espèces de silures étaient assez invasives et s’attaquaient aux rivières occidentales par le biais des interconnections des voies navigables et des canaux qui leur permettaient de progresser vers l’ouest...

Depuis la Volga et le Danube, des spécimens se retrouvaient déjà dans le Rhin il y a cinquante ans...

Alors pourquoi ne pas « devancer » la nature et importer tout de suite dans la Loire ces animaux qui peuvent couramment dépasser deux mètres et plus de cent kilos ? Un rêve pour les pêcheurs sportifs d’eau douce !

On en connaissait bien de petits spécimens dans le bassin du Doubs depuis le milieu du XIX ème siècle.

Aussi, dès les années soixante, on lâcha de petits silures glanes, dans le bassin de la Seine, qui essaimèrent jusqu’au Rhône. Et nos rivières déjà ravagées par les truites et la pollution ont découvert le plus grand prédateur d’eau douce qui soit sous nos cieux européens !*

Là à l’échelle du cours d’eau, si la truite est un renard, le silure est un dinosaure ! Il avale n’importe quoi avec sa gueule énorme (qui peut faire jusqu’à un tiers du corps !). Sa bouche, garnie de petites dents, n’est pas redoutable pour sa morsure. Mais il avale tout ce qui passe à sa portée, même à l’extérieur au bord de l’eau, en milieu terrestre. C’est le plus efficace ravageur dulçaquicole.


Une « découverte » pour nos chercheurs qui doivent décidément passer plus de temps en bibliothèque que sur le terrain : en Europe orientale, tous les riverains savent qu’un gros silure de plus de 100 kg, sortant de l’eau la gueule ouverte, peut s’en prendre à un agneau, à un cochon, à un canard ou à un chien...

Cela n’a rien d’original ni de rare, mais c’est apparemment totalement ignoré de nos scientifiques hexagonaux qui vont se précipiter pour rédiger des communications. Car, quelle n’a pas été la stupeur de nos fonctionnaires du CNRS que de voir des silures, dans le Tarn, attraper à Albi les pigeons sur les berges, à l’affût, tels des orques chassant l’otarie sur les grèves en Nouvelle Galle du Sud !

Voir ici : http://www.ladepeche.fr/article/2012/12/07/1508520-albi-quand-les-silures-du-tarn-mangent-des-pigeons.html

D’ici peu, ils vont découvrir que ce sont des ravageurs impénitents, et que dans nos cours d’eau, la faune a disparu. Du coup les sociétés de pêche vont être moins contentes...

Trop tard : le mal est fait  et il est irréversible ! Il ne fallait pas jouer à l’apprenti sorcier !

Une consolation pour les pêcheurs: les silures d’Amérique du sud sont souvent venimeux, il en existe même une espèce dont la piqûre peut être mortelle. Ce n’est pas le cas des silures d’Europe...

Faute de faune dans nos rivières, on gardera nos pêcheurs...

On essayera de s’en contenter.


Claude Timmerman



*Distribution actuelle du Silure glane :


- originelle continentale (rouge)

- dans les eaux côtières (bleu)

- récemment introduit depuis trente ans (orange)