Le productivisme agricole suit aujourd'hui la politique de gabegie qui sévit depuis des années dans d'autres secteurs de l'économie en surproduction chronique, faute de marchés financés à l'exportation... et de cours mondiaux qui leur conviennent !
Les productivistes agricoles ne sont pas des philanthropes et la crise alimentaire n'est pas leur problème, sauf quand cela leur sert d'alibi pour justifier leurs subventions et leurs nuisances !
 
En l'occurrence nous évoquons ici le problème du « nouveau mode de stockage céréalier », en Beauce, en Brie voire en Champagne berrichonne.
Dreyfus, lorsqu'il fonda autour de 1900 le comptoir céréalier qui porte encore son nom, l'énonça cyniquement :« Celui qui gagne de l'argent avec le blé, ce n'est pas celui qui le produit, c'est celui qui le stocke et qui le transporte! »
Dont acte !
Soucieux donc de limiter ces coûts, les céréaliers commencent à éviter transports et ensilages... et ils stockent désormais en vrac, en plein air, en bout de champs !
 
D'abord les grains !
 
On commence ainsi à voir des montagnes de céréales laissées à l'air libre, sans aucune protection, dans l'attente de jours « meilleurs » où elles seront vendues... Et face aux légitimes objections que soulèvent cette pratique originale, les céréaliers ont toutes les réponses : « Certes, le grain s'abîme en surface et pourrit, mais il se forme ainsi une couche de 20 à 30 cm qui durcit à l'air, devient rapidement imperméable, et protège ainsi le grain qui est dessous ! «  (sic!)
On en reste pantois!
Et quand on connaît les risques de contamination des céréales par des moisissures toxiques qui les rendent impropres à la consommation -  phénomène bien connu des autorités sanitaires portuaires qui analysent systématiquement les cargaisons de céréales en vrac - on peut légitimement s'alarmer...
On ne parlera pas des problèmes de fermentation : dès que le taux d'humidité des grains dépasse 12% le grain est le siège d'activités métaboliques qui font rapidement monter sa température et peuvent même causer des explosions, phénomène  bien connu et fort redouté dans les silos où les grains sont brassés et refroidis à l'air frais régulièrement ! On peut donc s'attendre à voir des tas de blé se transformer en petits volcans de plein champs... Mais il doit y avoir des assurances pour en pallier les pertes financières... Donc on est rassuré pour les agriculteurs !*

L'important tonnage de couverture ainsi perdu - qui permettrait de nourrir au moins les camps de réfugiés somaliens - ne scandalise pas non plus nos belles âmes productivistes...
Pas plus que la question de la pollution créée par ces masses pourrissantes de la « décape » qui vont rester année après année se décomposant à l'air libre... Mais on pourra sans doute les traiter à coup de pesticides pour éviter les contaminations : là ce n'est pas un problème !

On sait depuis longtemps que céréaliers et les arboriculteurs sont les premiers utilisateurs de pesticides qui provoquent chaque année plus de cancers que le tabac ou les particules fines de diesel... mais c'est une situation acceptée, puisque, selon eux, c'est indispensable pour obtenir la production agricole nécessaire pour « nourrir l'humanité »...

Ensuite les pailles...
 
Là encore le stockage à l'air libre se généralise... Les pertes sont tout aussi considérables, ce qui devrait faire plaisir aux éleveurs confrontés au manque de foin de plus au plus fréquent, et pour lesquels la paille est un appoint vital pour assurer la subsistance du bétail en période de canicule ou les années de récolte de foin désastreuse...
La « technique » est simple : l'empilement en grosses balles parallélépipédiques de 600 kg, voire même plus... L'avantage de ces balles par rapport aux round ballers, c'est le gain de place et la facilité de gerbage !
L'inconvénient, de taille, c'est qu'à la différence du round baller où la paille est enroulée - ce qui conserve son intégrité et rend la balle pratiquement imperméable aux intempéries (comme pour les toits de chaume) - dans le stockage par balles parallélépipédiques, la paille est compactée, donc cassée...
Première conséquence la balle contient beaucoup plus de poussière due aux tiges cassées, et la paille ainsi malmenée, lorsqu'elle est consommée en stabulation et surtout en étable fermée, provoque des maladies pulmonaires qui font la fortune des vétérinaires....
Seconde conséquence, le compactage ne respectant pas le sens des tiges, ces balles ne sont pas imperméables !L'eau y pénètre... et la paille pourrit !
Qu'à cela ne tienne : « on » admet que la couche périphérique de balles, et en particulier celle de la couche-toit, soient sacrifiées pour protéger les autres... A 600 kg la balle, on voit tout de suite l'importance du tonnage ainsi perdu. Les éleveurs en période de disette apprécieront.
 
Faut-il en conclure que la rentabilité du modèle productiviste agricole, premier pollueur de France et acteur privilégié du saccage du milieu naturel, conduise maintenant à l'abandon programmé, au sacrifice  d'une partie de la production, déjà  subventionnée par nos soins ?
Voilà qui devrait tout de même en interpeller certains !

*A titre indicatif, pour éviter tout risque, la plupart du temps, le taux d'humidité des céréales transportées, à l'export, doit être inférieur ou égal à 7% ! C'est le seuil de tolérance maximale préconisé à Houston, le premier port céréalier américain - et sans doute du monde...
                                   
Claude Timmerman