Le terme de friche médicale paraît plus adapté que celui de désert médical. Le terme de désert invite à penser à une étendue morte, vide et sans âme qui vive. La réalité est tout autre, dans une zone normalement peuplée, on déplore depuis peu l’absence de médecins, liée au non remplacement de ceux qui partent à la retraite, laissant ainsi le terrain en friche.
En effet, à la diminution globale de leur nombre, s’ajoute une baisse de la motivation chez les jeunes diplômés pour exercer la médecine générale, et on assiste maintenant à l'apparition sur la carte de zones où la présence médicale disparaît sans pour autant que change l’environnement.
Le nombre de jeunes médecins arrivant sur le marché est, depuis 2009, très inférieur à celui de ceux partant a la retraite.
Au problème de la répartition territoriale s’ajoute celui de la pénurie.
Ce phénomène a commencé à être sensible dans les hôpitaux il y a quelques années, et se manifeste maintenant dans certaines zones rurales et même urbaines.
Sachant qu'il faut environ 10 ans pour former un médecin et que les départs à la retraite sont faciles à anticiper, il n’était pas difficile de prévoir la situation actuelle. Mais comme d'habitude, on ne fait mine de découvrir le problème que lorsque les effets s'en font sentir, alors que les causes sont connues depuis des années.

Une récente étude menée par le conseil national de l'Ordre des médecins montrait que la médecine générale était une des dernières spécialités choisie par les jeunes médecins, qui préfèrent exercer dans des spécialités plus rémunératrices, telles que la radiologie ou la chirurgie esthétique, ajoutant à cela qu’ils préfèrent un exercice salarié à un exercice libéral, et enfin que parmi ceux qui choisissent ce type d'exercice, la plupart d'entre eux préfèrent le statut de remplaçant à celui de médecin installé. Pas étonnant alors que certaines zones géographiques deviennent de véritables friches médicales. Non seulement on manque globalement de médecins, mais la plupart d'entre eux ne désirent pas être médecin généraliste, et en tout cas pas dans les conditions difficiles d'un exercice isolé.

À cela plusieurs raisons. La société a changé, les malades sont devenus plus exigeants, les contraintes économiques sont incontournables, et les critères de vie de nos jeunes diplômés ne sont pas ceux de leurs pères. La féminisation de la profession (60 % des étudiants en médecine sont des femmes) a largement contribué à modifier l'exercice médical. La vie familiale n’est plus négligée chez les jeunes confrères comme elle l’était (voire totalement mise de côté) par les médecins plus  âgés. Alors que la plupart de nos concitoyens bénéficient des 35 heures et des RTT, il est bien compréhensible que les jeunes médecins souhaitent eux aussi avoir des loisirs, une vie de famille normale et des périodes de vacances été comme hiver. Le sacerdoce, cher aux générations précédentes, a souvent disparu de  leur motivation, au profit de pratiques plus techniques pour la prise en charge de la pathologie et du malade.

Rien de très étonnant à cela, par facilité on a choisi de sélectionner nos jeunes confrères sur des critères scientifiques, certes faciles à interpréter et donc à noter, plutôt que sur des critères qui permettraient d'évaluer l'aptitude à soigner ses semblables. Plutôt que ce stupide concours de première année des études médicales, qui n’augure en rien des aptitudes du candidat à assumer sa tâche de soignant, il serait plus logique  d’obliger les futurs carabins à effectuer un  stage infirmier de une année, à l’issue de laquelle seuls les plus compétents et les plus motivés seraient retenus.

Pour pallier à ce manque de médecins dans certaines régions, des élus locaux ou des groupements professionnels, ont envisagé de créer des maisons médicales, le plus souvent subventionnées afin de diminuer les charges qui pèsent sur leur fonctionnement, pour stimuler l'installation dans ces zones déshéritées. L'idée est séduisante mais il semble qu'elle fasse long feu. Pour toutes les raisons énoncées plus haut, (le peu de motivation pour ce type d’exercice, le désir de ne pas s'enfermer « à vie » dans une pratique que l'on peut être susceptible de vouloir faire évoluer, les contraintes de ce type d’exercice), le simple fait de diminuer les charges de fonctionnement d'un cabinet ou l’attribution d’une prime, pour inciter un médecin à venir s'installer, n'ont pas suffi à résoudre ce problème.

Alors que faire ? En mai 2012 le conseil national de l’Ordre des médecins a émis une proposition qui envisage d’obliger les jeunes médecins à s’installer en priorité dans les zones déshéritées, et donc d’établir une carte des besoins et n’autoriser l'installation que si elle correspond à une nécessité. C'est ce qui se pratique déjà pour l'installation des pharmaciens.
C'est une piste à suivre, autoritaire certes, mais peut être nécessaire.

Plutôt que d'envisager des mesures de replâtrage ou un dispositif autoritaire, ne vaudrait-il pas mieux établir un état des lieux et accepter l'idée que dans certaines zones, l'exercice libéral de la médecine n’est plus adapté aux besoins du terrain. Si l'on accepte ce postulat, on peut envisager la création de centres de santé, dont le financement serait assuré par la collectivité (territoriale ou l’état), afin que les populations locales puissent avoir recours à des prestations de soins identiques à celles dont elles pourraient bénéficier dans d'autres endroits du territoire, où la médecine libérale assure ce service de santé publique.

Il serait plus facile de recruter des jeunes médecins en leur proposant un contrat de deux ou trois ans renouvelable, et en leur assurant un salaire attractif, (ce qui correspondrait à leurs attentes : salariat et crainte de s’engager à vie), plutôt que de tenter de les appâter par des primes à l’installation ou de les contraindre par des mesures autoritaires. On peut envisager également que ces centres médicaux isolés soient équipés d’un matériel de base permettant de pratiquer les premiers soins d’urgence, et d'un matériel de radiologie simple qui grâce aux progrès de la télémédecine, permettrait de transmettre les images radiologiques à interpréter, ainsi que les électrocardiogrammes, à des correspondants spécialisés. On pourrait aussi doter ces centres d'appareils de biologie, simples à utiliser, comme ceux que possèdent les vétérinaires, afin de permettre si nécessaire d'établir un diagnostic urgent.

Cela ne résoudra cependant pas le problème de la permanence des soins, particulièrement la nuit, car il est évident que l’on ne peut pas demander au médecin, après une journée de travail, d’être encore disponible pour se déplacer en pleine nuit auprès d'un malade forcément loin situé. Mais ce problème ne se pose pas uniquement dans les zones sous médicalisées. La difficulté pour joindre un médecin la nuit existe même dans les zones à forte densité médicale, où les responsables de la permanence des soins ont du mal à remplir un planning d’astreinte fiable.
Il est probable qu'il faudra à terme, que ce soient des médecins urgentistes qui prennent le relais des médecins installés, pour assurer, en dehors des heures d'ouverture habituelles des cabinets, une permanence de soins efficace.

Les solutions existent, elles sont immédiatement réalisables. Ce n’est qu’une question de moyens et de volonté politique.

Dr. J-M Lacroix    Juin 2012