Fort du financement de tous ceux qui ont contraint les agriculteurs à la « smigardisation » pour leur plus grand profit, banques, géants de la mécanisation, de la chimie agricole et de l’agro-industrie, le lobby productiviste poursuit une guerre d’usure sans merci contre la population et contre le milieu environnant, avec la complicité d’agriculteurs décidément trop obtus pour comprendre qu’ils sont les premières victimes des bons apôtres qui font profession de défendre le monde agricole, alors que leur premier souci est de parvenir à l’exploiter chaque jour un peu plus... Pour cela tous les moyens lui sont bons.

Très vite, il est apparu - à travers abus et scandales que révélaient les conditions honteuses de détention animale des « élevages » intensifs ou les pollutions aquatiques et aériennes dramatiques consécutives aux épandages incontrôlés de pesticides dont les effets dépassaient de loin les pires cauchemars de la science fiction – qu’une bataille médiatique était engagée, et qu’elle était déjà perdue en Bretagne à l’aube du XXIe siècle par les propagateurs de la vache folle, des algues vertes ou de la pollution des nappes phréatiques.

Face à ce sombre constat les organisations productivistes ont contrattaqué selon les principes de Clausewitz : « il faut tuer le courage et la volonté de l’État adverse, plutôt que ses soldats ». Autrement dit, en matière de défense et de justification du productivisme, il ne s’agit pas de se battre avec les écologistes, mais bien de circonvenir le gouvernement et de saper les convictions émergentes, donc de délégitimer le combat... Et d’user alors des armes de l’adversaire : chercher à s’allier l’opinion publique, en l’occurrence!

Or la défense de l’environnement ne se justifie aux yeux de l’opinion que par les conséquences souvent irréversibles et mortifères des excès d’une agriculture industrialisée à outrance et ne cherchant que le rendement financier

La contre-offensive a donc consisté à nier la réalité…

Eriger la non information puis la désinformation en information.

Et dans ce domaine, rien n’est mieux que de s’appuyer sur des études apparemment scientifiques ! On a donc vu éclore depuis 20 ans tout un ensemble de structures destinées à diffuser la bonne parole productiviste, ayant toutes comme points communs d’être dirigées par des agronomes ou des journalistes militants et d’être financées par les lobbies agro-chimiques ou agro-industriels. Elles produisent à la chaîne des publications ciblées et sur mesure, études plus ou moins fantaisistes rédigées par des médecins, sensées « être scientifiques » (!?), toutes destinées à prouver que les préoccupations écologiques sont une fumisterie et que le productivisme agricole est l’unique solution et la condition nécessaire d’un avenir radieux, capable de faire disparaître la faim dans le monde à coup de produits plus toxiques les uns que les autres, sans aucun risque pour l’humanité, les fleurs ou pour les petits oiseaux...

Situation qu’illustre parfaitement l’aphorisme de La Rochefoucauld : « La tromperie va toujours plus loin que le soupçon. »

Des nitrates aux algues vertes...

L’une des premières de ces officines, parmi les plus virulentes et les plus financées, créée au début des années 90 est l’« Institut de l’Environnement » répondant au sigle ISTE (Institut Scientifique et Technique de l’Environnement).

Mais ici, en vérité aucun institut au sens propre du terme : nous avons à faire à une banale association Loi 1901, très proche de la FNSEA et présidée par l’agronome Christian Buson, dont la première publication référencée ISTE 0 s’intitulait : « Comment faire face au « lobbying écologique » ?Tout un programme, au moins on annonce la couleur ! [1]

Au fait, pourquoi cette appellation d’Institut ? Parce qu’il existait (du moins jusqu’en 2008) un Institut Français de l’Environnement – IFEN - structure tout à fait officielle dépendant du Ministère de l’Ecologie ! [2] Parce qu’il existe également un Institut Supérieur de l’Environnement - ISE - établissement d’enseignement supérieur reconnu par la Ministère de l’Education Nationale. [3]

Ainsi l’appellation « Institut de l’Environnement » permet d’entretenir une pernicieuse confusion et crée une équivoque sur le caractère éventuellement « officiel » et « scientifique » de ce pseudo institut qui n’assure que le lobbying de la FNSEA! On appréciera la volonté évidente de tromperie voire de tricherie!

Le site de l’ITES indique d’ailleurs clairement sa participation à de nombreux articles de la France Agricole, le journal des productivistes, et son engagement sans faille auprès des... porchers bretons ! L’ISTE s’est ainsi spécialisé dans la désinformation sur la question des nitrates et milite carrément pour la suppression de la barrière fatidique, jugée beaucoup trop basse à ses yeux, des 50 mg/l de nitrates dans l’eau potable, encore imposée par les directives européennes censées empêcher la sursaturation nitrique du milieu naturel par les engrais épandus, comme la pollution irréversible des rivières et de la nappe phréatique... Une réglementation catastrophique par conséquent pour ceux qui aspirent à doubler les épandages de lisier et à accroître encore la surproduction porcine au mépris évidemment des conséquences sur le milieu...

Mais l’ITES veille et « prouve » que les nitrates ne sont cause de rien et sont d’ailleurs toujours bons pour la santé ! [4] Pour cautionner cela, l’on a été chercher Maurice Tubiana (cancérologue de renom) et Marian Apfelbaum (nutritionniste).

Et pour faire une étude apparemment « scientifique » sur cette tolérance supposée aux nitrates, l’ITES a eu également recours à un vrai spécialiste, le docteur Jean Louis L’Hirondelle, qui a rédigé un livre, préfacé justement par le professeur Tubiana et édité bien entendu par l’ITES : « Les nitrates et l’homme ». Un plaidoyer pro domo pour les nitrates jugés définitivement bons pour la santé. L’avis incontestable d’un spécialiste scientifique incontesté puisque Jean Louis L’Hirondelle est... rhumatologue au CHU de Caen, sans rire ! [5]

Depuis maintenant dix ans, L’Hirondelle prêche ainsi la bonne parole nitrique... et il y a encore des gens (de la FNSEA ?) pour aller l’écouter !

Quant à l’agronome Christian Buson, lui se spécialise dans le négationnisme de la prolifération et de la dangerosité des algues vertes bretonnes... Nouveau credo : les nitrates n’y sont pour rien et l’agriculture non plus : c’est la faute des phosphates des lessives des citadins ! Manque de chance, les lessiviers n’utilisent pratiquement plus de phosphates depuis trente ans et l’eutrophisation repérée dans nombre de zones rurales prouve suffisamment que si les phosphates sont aussi en cause, ce ne sont pas ceux associés aux habitants des villes distantes de 20 ou 30 km et situées en aval des cours d’eau concernés, mais bien plutôt les superphosphates agricoles largement épandus partout...

Après le sauvetage in extremis d’un cavalier, qui y a perdu sa monture, et la mort d‘un chauffeur de camion l’an dernier, puis l’hécatombe de sangliers cet été, tous intoxiqués par les boues et les émanations des algues en décomposition, sans parler des chiens et autres cadavres retrouvés sur les grèves des baies où se déversent les eaux de ruissellement, la responsabilité de la filière porcine est définitivement avérée.

Tout cela nous ne dénoncions déjà voici deux ans avec la dramatique affaire de Saint Michel en grève![6]

Ainsi donc M. Buson a décidément du travail, mais il déploie un zèle infatigable, cependant les instances officielles agricoles l’aident beaucoup.

Après tout, le rapport du préfet Fargeas [7] (lequel préconisait la fermeture de 25% des porcheries bretonnes) est bien passé à la trappe et l’extension depuis de certaines porcheries a même été autorisée !

Tous les espoirs des productivistes sont donc toujours permis !

Pourtant maintenant que la réalité et de ses méfaits sont devenus indiscutables, on parle même de procès pour mise en danger de la vie d’autrui... il est aussi question des conséquences économiques, inquiétantes pour le tourisme, de la fermeture de plages, pour le seul bénéfice du maintien d’une pratique d’élevage très peu créatrice d’emploi et génératrice d’une « pollution durable » et dont le coût est d’ailleurs intégralement à la charge des non agriculteurs... Le tout, pour une production pléthorique difficilement « écoulable » et ne pouvant continuer d’exister sans les subventions astronomiques ponctionnées sur les impôts des non agriculteurs, lesquels paient en outre le coût considérable des dépollutions… quand elles sont possibles !

Le coût réel du porc industriel est par voie de conséquence astronomique, notamment en termes environnementaux car nul n’évoque à ce jour les conséquences sur le milieu intertidal d’une pollution littorale qui n’a rien à envier à celle des marées noires...

En période pré-électorale, continuer à favoriser, au mépris de l’environnement, du développement de l’économie locale et de l’emploi, une pratique d’élevage conduisant à diverses menaces mortelles pour la santé publique, n’est peut être pas la meilleure stratégie à avoir pour séduire l’opinion... Aux élus d’y réfléchir... Aux citadins surtout (aujourd’hui électoralement majoritaires) d’être vigilants et de ne plus se laisser prendre en otage par des ruraux déresponsabilisés par les subventions, car c’est leur existence même qui se trouve maintenant menacée...

C’est cela aussi faire « un petit geste pour l’environnement » selon la formule médiatique consacrée, et aussi un grand pas vers plus de responsabilité...

Claude Timmerman, le 10 août 2011

Notes:

1.http://www.institut-environnement.fr/

2.http://www.vedura.fr/developpement-durable/institutions/france/institut-francais-environnement-ifen

3.http://www.institut-superieur-environnement.com/

4.http://www.institut-environnement.fr/download/La%20France%20agricole%20dossier%20nitrates.pdf?6b6d4e1c63988a0adbec4940a17c9332=8f535b9070b62a81e6def84d5a12fd7e

5.http://www.institut-environnement.fr/download/nitratesetlhomme.pdf?6b6d4e1c63988a0adbec4940a17c9332=c9b502d86149bb2293c71fa1a294852d

6.http://www.france-courtoise.info/?p=629

7. http://www.letelegramme.com/complements/2009/10/20/617909_marees-vertes-2.pdf