000003531_5.jpg Les effets des polluants chimiques sur la santé font l’objet de nombreuses études. On a constaté que certains perturbent le fonctionnement du système hormonal et endocrinien. Faut-il s’en inquiéter ?

Le Réseau Environnement Santé a organisé un colloque sur ce thème mardi 14 septembre 2010 à Paris tout comme la ville de Rennes, le 12  avril dernier, ce dernier à l’initiative du Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer (Meeddm).



De quoi s’agit-il exactement ?

Les perturbateurs endocriniens sont des substances étrangères à l’organisme, et notamment des polluants chimiques, capables d’interférer avec le fonctionnement de notre système endocrinien et de nos hormones. Présents dans l’eau, l’air, le sol et les aliments, ils peuvent entraîner des effets nocifs pour la santé de l’homme, pour la faune et pour la flore.



D’après le conseil scientifique du Programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens (Pnrpe), ces perturbateurs endocriniens « sont le point commun entre l’apparition de micropénis chez les alligators du lac Apopka, en Floride, lequel est extrêmement pollué, les malformations utérines chez les filles exposées au Distilbène et les dérèglements sexuels observés chez les gastéropodes des côtes françaises en contact avec les peintures antisalissures utilisées sur les coques de bateaux ».

Où les trouve-t-on ?

Ils sont partout. Aussi bien dans certains de nos médicaments, comme la pilule contraceptive qui est un œstrogène de synthèse, que dans l’environnement, avec les pesticides, le plomb, le mercure, les dioxines, on les détecte également dans les produits de tous les jours et ce peut-être tout aussi bien l’eau du robinet, autrement dit partout.

C’est le cas du bisphénol A, présent dans les biberons, les canettes, les boîtes de conserves, les bouteilles et ustensiles en plastique, etc, des phtalates, partout utilisés dans les plastiques (rideaux de douche, jouets, emballages alimentaires, etc.), ou encore dans les cosmétiques (parfums, déodorants, etc.), des retardateurs de flammes bromés (employés dans les textiles, les ordinateurs, les mousses…), les additifs alimentaires...

Au total, 320 substances sont sur la sellette, dont 66 ont été classées par le Conseil de l’Europe comme perturbateurs endocriniens confirmés.

Quels risques leurs sont associés ?

En se fixant sur le récepteur des gènes qui commandent la production d’œstrogènes, ils peuvent bloquer, jusqu’à preuve du contraire, ou amplifier la sécrétion, le transport, l’action ou l’élimination des hormones. Globalement, ils sont suspectés d’altérer les capacités reproductives avec, chez les hommes, une baisse de la spermatogénèse. Sur ce point précis il existe cependant beaucoup d’interrogation, car, par exemple, le phénomène n’est pas observé uniformément... Si l’on peut constater un déclin spermatique à Paris, il n’en vas pas de même à Toulouse.... Les perturbateurs endocriniens pourraient en outre engendrer une diminution du nombre de mâles à la naissance - sex-ratio - et un accroissement des malformations génitales. En 2006, à la maternité du CHU de Montpellier, le Pr Charles Sultan a ainsi constaté qu’il y avait deux fois plus d’hypospadias (malformation du pénis), de cryptorchidies (non-descente de testicules), de micropénis et de pseudohermaphrodismes chez les enfants d’agriculteurs ou de maraîchers, en plus grand contact avec les pesticides que le reste de la population !

Chez les filles, des études ont montré des anomalies dans la différenciation sexuelle, des troubles ovariens et de la fertilité, un risque plus important de mortalité intra-utérine et une diminution de la croissance fœtale.

Ces perturbateurs sont aussi suspectés d’être responsables de l’augmentation des cancers des testicules, dont l’incidence augmente, de la prostate et des seins, dans les pubertés précoces, les troubles de la thyroïde, du système immunitaire et du métabolisme. « On ne sait pas encore tout, mais un homme né dans les années 1970 a deux fois plus de risques d’avoir un cancer des testicules qu’un homme né en 1930, souligne Rémy Slama. Vu la rapidité avec laquelle cette tumeur se développe, la cause ne peut pas être génétique. »

Quelle exposition au risque ?

Le problème est que nous ne sommes pas exposés à une seule substance mais à de multiples facteurs de risque. On a retrouvé la trace d’une centaine de produits toxiques (dont certains interdits depuis des années) dans le sang de députés européens qui se sont prêtés à un test, environ 300 polluants ont été détectés dans le sang du cordon ombilical de 30 bébés de la maternité du CHU de Montpellier, le bisphénol A étant présent dans les urines de 95 % des Américains, l’on en trouve également dans le lait maternel…

On pourrait se rassurer en se disant que les doses auxquelles nous sommes confrontés sont trop faibles pour produire des effets négatifs pour notre santé, sauf que – tous les scientifiques l’admettent aujourd’hui – ce n’est pas forcément l’importance de la dose qui détermine la nocivité d’une substance, ni même la durée d’exposition, aussi longue soit-elle. En revanche, la période d’exposition paraît cruciale.

« L’exposition du fœtus durant le premier trimestre de grossesse pourrait être décisive » : globalement, les enfants et les femmes enceintes sont des personnes à risques, même si tous ne réagissent pas de façon identique...

Que font les autorités sanitaires ?

La France est à l’heure des études et des recommandations individuelles pour se protéger des polluants chimiques, mais il n’est pas encore vraiment question d’interdiction. Néanmoins, dans son avis de février 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) reconnaît qu’un perturbateur endocrinien, le bisphénol A, présente des « signaux préoccupants » !

Une expertise collective a été diligentée par le ministère de la Santé, dont les résultats seront connus à l’automne prochain. Sans attendre, les députés ont voté une proposition de loi pour interdire les biberons qui en contiennent. D’autres pays, comme le Canada ou certains Etats des Etats-Unis, les ont déjà proscrits. Le Meeddm pour sa part a dégagé 3 millions d’euros et lancé 13 projets de recherche sur les perturbateurs endocriniens.

Les résultats de trois études

Les premières conclusions de trois études ont été présentées à Rennes.La première étude, réalisée par l’équipe du Dr Jacques Auger, à l’hôpital Cochin (Paris), montre que l’exposition de rats (de la gestation à l’âge adulte) à de faibles doses de génistéine (un phytoœstrogène) et/ou de vinclozoline (un anti-androgène) entraîne plusieurs anomalies : chez un tiers des animaux, les testicules ne sont pas descendus, la puberté est retardée chez les mâles, le fonctionnement des glandes salivaires et le comportement alimentaire des mâles juvéniles sont modifiés, le développement de la glande mammaire chez les femelles est perturbé. Les rats présentent également des malformations du cartilage des disques intervertébraux.

La deuxième étude, menée par l’équipe de Sylvaine Cordier (Inserm Rennes), porte sur la chlordécone, un insecticide organochloré utilisé aux Antilles dans les cultures de bananes. Plus de 1 000 femmes en fin de grossesse ont été suivies entre 2004 et 2008. 62 % d’entre elles ont de la chlordécone dans le sang. Or la contamination, qui se fait via l’alimentation, entraîne un risque significatif d’accouchement prématuré. La présence de l’insecticide dans le sang du cordon (28 % des cas) est aussi liée à une prise de poids du bébé importante les trois premiers mois,et de ce fait, entraîne un risque certain d’obésité à l’âge adulte ?

La troisième étude, dirigée par Catherine Viguié (Inra Toulouse), révèle que le fonctionnement de la thyroïde des rats et des moutons exposés au fipronil, un insecticide agrovétérinaire très répandu, est exagérément stimulé : les enzymes du foie sont multipliées et l’élimination de l’hormone thyroïdienne (T4 ou thyroxine) dans le sang est accélérée... Les effets sont un peu moins importants chez les ovins, plus proches de l’homme. L’exposition à un retardateur de flammes polybromé diminuerait cependant de moitié le temps de vie (temps mis par une substance pour perdre la moitié de son activité) de la thyroxine.

Brigitte Bègue

Les dégâts du Distilbène

Prescrit à des millions de femmes enceintes dans les années 1950 pour leur éviter une fausse couche ou un accouchement prématuré, le Distilbène a été interdit en France en 1977. Mais cet œstrogène de synthèse a fait des dégâts considérables chez les enfants qui y ont été exposés dans le ventre de leur mère : malformations génitales chez les filles et les garçons, stérilité, fausses couches, cancers du col et du vagin…

On sait aujourd’hui que les effets du Distilbène se font ressentir jusqu’à la troisième génération, autrement dit chez les petits-enfants des femmes qui en ont pris. Ce perturbateur endocrinien pourrait aussi être à l’origine de troubles psychiques : dépression, anxiété sévère, schizophrénie, anorexie…

L’âge de la puberté avance

« Entre 1992 et 2007, l’âge de l’apparition des seins a avancé d’un an », assure le Dr Jean-Paul Bourguignon, pédiatre-endocrinologue au Chu de Liège (Belgique). C’est un fait : les cas de puberté précoce, avant l’âge de 9 ans, sont de plus en plus fréquents.

Déjà, en 1998, une vaste étude américaine montrait que le développement de la glande mammaire chez les petites filles se produisait à 9 ans et 7 mois, contre 10 ans et 5 mois en 1970. Une récente enquête menée auprès de 1 151 fillettes américaines, dont la moitié ont commencé leur puberté avant l’âge de 9 ans et un quart avant l’âge de 8 ans, indique que les perturbateurs endocriniens pourraient être en cause. Des concentrations élevées de phénols, phtalates, phytoœstrogènes ont été détectées dans leurs urines.

Une piste évoquée par le Dr Bourguignon : « En Belgique, nous avons retrouvé beaucoup de Ddt, un pesticide organochloré, chez des enfants migrants dont la puberté était précoce. Il y a peut-être un lien avec l’exposition fœtale à ce perturbateur endocrinien, mais nous n’avons pas de preuves formelles.» Difficile donc de conclure, même si les indices s’accumulent dans plusieurs études internationales. D’autres facteurs sont à prendre en considération, et notamment l’alimentation.

Par exemple, les enfants obèses sont souvent pubères plus tôt, tandis que l’anorexie, elle, bloque l’arrivée des règles.

Source : http://www.viva.presse.fr/spip.php?page=enquete&id_article=13884