« Dès que l’homme, selon un mot fameux, peut plus qu’il ne sait, il choisit le pouvoir et laisse le savoir. Depuis que l’avion s’est envolé sans la permission des théoriciens, les techniciens se moquent des théoriciens ; ce genre de sottise orgueilleuse se développe étonnamment. » Alain, Propos sur l’éducation, LXIV

Quelles potentialités ne nous sont-elles pas offertes par les nouvelles technologies (NTIC) ? Quels développements extraordinaires de l’humain ne nous promettent-elles pas? Quelles formes providentielles de culture ne semblent-elles pas ouvrir devant nous ? À quelles facilités décuplées d’accès au savoir, pour tous et partout, ne prétendent-elles pas ? Quelle célérité ne procurent-elles pas à la communication, autant dire à l’union, que dis-je, la communion ! entre les hommes, les groupes, les peuples, les nations ?

Par la légère flexion d’un seul doigt, vous accédez à des bibliothèques pléthoriques, à des bases de données pharaoniques, à des réseaux démesurés… Les logiciels vous font manipuler toute la réalité, depuis le logiciel d’architecture jusqu’au tableur comptable en passant par « Photoshop » grand accommodeur d’images, tout cela comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfant…

Cependant ces nouvelles techniques, le numérique, le multimédia, l’informatique et Internet sont-ils les outils ultimes pour que l’esprit humain maîtrise la matière, la nature, le monde, et parvienne à conjurer les dernières barrières, celles qui l’empêchent d’accomplir ses projets les plus légitimes, ses aspirations les plus justifiées ? Par exemple, l’éducation, dont on sait quel rôle déterminant elle joue dans la vie de tout homme ?

Eh bien n’en doutez pas, telle est l’exacte opinion d’une majorité dominante au sein des « acteurs » du monde éducatif et pédagogique en France. Qu’on se le dise : actuellement, se met en place, en coulisse, une véritable révolution informaticienne de l’Éducation nationale. Et mieux encore : cela signifie que l’on veut faire – et que l’on va faire – de vos enfants des quasi-robots (mentaux) soudés (on dit connectés) à des machines (matérielles) qui littéralement sont appelées à penser à leur place.

Ce projet implique in fine de mécaniser totalement la pensée des écoliers et lycéens, qu’on va peu à peu asservir à des outils informatiques ou autres, toutes les tâches habituelles (déjà nul ne sait plus compter puisque les calculettes servent de prothèses mentales), autrement dit, les facultés mentales de nos jeunes gens – leur esprit en un mot – deviendront dépendantes de machines… Certes de « mignonnes » machines, à l’allure (en Novlangue : look, design) futuriste, iPod, iPad, iPhone, consoles qui sont maintenant loin d’être de simples gadgets numériques car ce sont des machines destinées finalement à dé-penser… à ne plus penser puisque les cervelles s’atrophient au même rythme que ces machines envahissent nos vies et celles de nos enfants.

Ce ne sont pas d’ailleurs les « machines » contre lesquelles nous nous insurgeons ici, mais contre l’usage dévoyé qui en est fait : l’Éducation nationale (autrefois Instruction publique) n’a pas pour vocation de soumettre l’individu à la machine, de l’en rendre dépendant dès sa prime jeunesse, mais de lui apprendre la maîtrise de ses facultés intellectuelles, d’en favoriser l’épanouissement afin de faire in fine un bon usage des outils que la Technique met aujourd’hui à notre disposition.

Outils et instruments qui, comme la langue d’Ésope, peuvent nous apporter le meilleur ou le pire selon l’usage que nous en faisons… Apprenons donc d’abord à penser au lieu d’attendre des machines qu’elles le fassent à notre place !

Alors ? Quels enfants allons-nous former pour le futur ? Des individus qui auront appris à trouver leur place dans la réalité, dans le monde réel, celui des hommes et de la nature, cela grâce à un apprentissage de la pensée – par soi-même – progressif et responsabilisant ? Ou bien allons-nous nous contenter de leur ouvrir les portes d’un monde virtuel (et pas si merveilleux que ça quand on voit quels fleuves d’immondices circulent sur la Toile) dont ils n’auront pas la clef… un monde d’informatique dont ils seront dépendants à vie ?

Ce qui est en question, ici et maintenant, c’est l’autonomie de l’individu, désormais noyé et bientôt dissout dans l’océan universel des réseaux virtuels dont l’abus est indéniablement nuisible à la santé mentale de l’humain… Il ne s’agit pas de refus de la technique mais de tirer le signal d’alarme des mésusages qui en sont faits au nom des plus nobles causes, à commencer par l’enseignement. Sommes-nous des « technophobes » ? S’agit-il de notre part d’une réaction rétrograde ? D’une néophobie viscérale ? Du misonéisme primaire ?  Non pas, un appel au bon sens et à un retour aux vérités élémentaires : non, la machine n’est pas destinée à penser en lieu et place des hommes; oui, l’apprentissage moderne doit être celui de l’usage des machines dans ce qu’il a de meilleur et cette nouvelle « éducation » sera celle d’une discipline de la pensée et du caractère face à l’outil, ou bien elle sera la ruine intellectuelle et morale des générations montantes.

Hussard Noir