Tous sous Tamiflu…

Indépendamment des effets indésirables, bien connus et fréquents du Tamiflu ?

Un communiqué du ministère de la santé en date du 10/12/2009 préconise aux médecins de prescrire systématiquement un traitement antiviral (Tamiflu notamment) à tous les patients porteurs d’un syndrome grippal ! Une recommandation plus que surprenante voire dangereuse… Alors que la mortalité annuelle de la grippe saisonnière est classiquement estimée à 1 décès pour mille cas, celle du H1N1 est évaluée, tous pays confondus, à 26 décès pour 100 000 sujets contaminés et 4 décès pour 1 million de cas pour les patients sans facteur de risque…

Un communiqué du ministère de la santé en date du 10/12/2009 [1] préconise aux médecins de prescrire systématiquement un traitement antiviral (Tamiflu notamment) à tous les patients porteur d’un syndrome grippal ! Le même communiqué indique également que les réserves nationales en anti-viraux vont être mis à disposition des officines à compter du 21 Décembre. Cette information a été relayée, avec effet d’application immédiat, par le système d’alerte par mail “DGS-urgent” de la direction générale de la santé, information que tous les professionnels de santé inscrits ont donc reçu. Ceci donne indéniablement un caractère d’importance et d’urgence sans équivoque à cette recommandation…

En tant que médecin généraliste, concerné en première ligne par cette “recommandation”, je suis tout d’abord surpris que cette incitation à la prescription massive d’antiviral (Tamiflu notamment) ne soit accompagnée d’aucune argumentation objectivant une gravité particulière de la grippe H1N1 actuellement en circulation en France qui pourrait remettre en cause l’indication usuelle du traitement par antiviral d’un syndrome grippal, traitement réservé habituellement aux contre-indications vaccinales et aux patients à risques.

On pourra à ce sujet se reporter à l’avis de la revue spécialisée Prescrire, revue indépendante de tout financement de l’industrie pharmaceutique, et qui précise au vu des données actuellement disponibles : “Prendre en compte les effets indésirables, les incertitudes diagnostiques et les incertitudes sur l’efficacité incite à réserver les antiviraux aux patients à risque élévé de complication grave, ayant été en contact étroit avec une personne apparemment contagieuse d’une grippe H1N1 confirmée, ou très probable car dans la période du pic épidémique”(Revue Prescrire, Novembre 2009, n°313, p. 849). Et de rappeler les effets indésirables bien connus et fréquents du Tamiflu, notamment les nausées-vômissements dans 30% des cas ainsi que certains effets parfois graves. Remettre en cause cette attitude de prescription rationnelle et argumentée ne pourrait se concevoir qu’en présence d’éléments nouveaux objectifs qui ne nous sont pas précisés par le communiqué du ministère de la santé : tout au plus un vague “avis d’expert” est évoqué pour justifier la décision…

Cette recommandation est d’autant plus surprenante qu’une étude britannique disponible le 11/12/2009 vient montrer que la gravité, en terme de mortalité, de la grippe H1N1 n’est pas au rendez-vous, et heureusement ! La mortalité globale est estimée par cette étude à 26 décès pour 100 000 patients [2]

La situation en France serait-elle tellement plus grave qu’une prescription massive d’antiviraux se justifierait ? Les chiffres disponibles à ce jour semblent au contraire confirmer une gravité somme toute modérée de la grippe H1N1 actuellement en circulation. En se basant sur les informations fournies par le site de l’Institut de Veille Sanitaire [3] en date du 8 /12/ 2009 (sachant que 126 décès sont rapportés à la grippe H1N1 et qu’il y a approximativement près de 4,5 millions de cas, on peut grossièrement estimer la mortalité de la grippe H1N1 à 1 décès pour près de 36 000 cas (pour mémoire, la mortalité annuelle de la grippe saisonnière est classiquement estimée à 1 décès pour mille cas).

Si l’on se réfère aux cas de patients sans facteurs de risques, le nombre de décès est évalué à 20, soit 1 cas pour 250 000 cas de grippe environ, autrement dit 4 décès pour 1 million de cas, ce qui est encore trop, certes… mais qui d’un point de vue purement médical ne justifie certainement pas de mettre tous les patients grippés sous Tamiflu… au vu des risques pris en terme d’effets indésirables ! Des vomissements par exemple, effets indésirable très fréquent (20%) du Tamiflu, çà peut donner une hypokaliémie et donc des troubles du rythme cardiaque, ou encore une déshydratation, etc… ! On remplace un mal incertain par beaucoup d’autres maux plus immédiatement potentiels…

Cette recommandation surprend également en raison de la tendance à l’accalmie de la grippe H1N1 observée en France et évoquée par plusieurs indicateurs, notamment le bulletin de l’INVS déjà cité du 8 décembre 2009 qui indique que ” à l’hôpital, la diminution du nombre de passages aux urgences pour grippe se poursuit”. C’est un très bon marqueur de la gravité de la grippe sur le terrain et un signal fort d’une décrue débutante. L’hypothèse d’une “seconde vague” invoquée ici ou là, est également peu probable au vu de l’observation du déroulement des épidémies grippales H1N1 dans les pays où elle est déjà terminée. La durée observée de l’épisode a oscillé entre 6 à 10 semaines selon les pays. Ces informations sont là encore disponibles sur le site de l’INVS dans une note en date du 25 septembre 2009 sur la “sévérité de la grippe H1N1 2009 dans le Monde”.[5]
Mais le plus inquiétant, c’est que cette recommandation de prescription massive d’antiviraux, qui ne semble pas objectivement justifiée à ce stade comme nous venons de le voir, pourrait avoir deux effets dramatiques à moyen voire court terme.

Tout d’abord, traiter massivement par antiviraux à grande échelle crée les conditions pour qu’une souche virale H1N1 résistante aux antiviraux disponibles émerge et se mette à circuler. Ce n’est pas de la science-fiction puisque des cas de résistance au antiviraux sont rapportés d’ores et déjà par l’INVS en France. Et ce n’est pas être catastrophiste que d’annoncer cela : c’est du simple bon sens “biologique”. Si l’on soumet massivement une population bactérienne aux antibiotiques par exemple, la “sélection artificielle” qui en découle fait émerger les souches résistantes. Il n’y a aucune raison de penser qu’un tel phénomène ne se produirait pas avec le virus H1N1, bien au contraire. En tout cas, prendre un tel risque semble démesuré par rapport à la situation actuelle qui semble tout de même assez bien maîtrisée en termes de gravité et de mortalité.

Enfin, il serait dramatique de se tromper de pandémie… et de mobiliser les stocks nationaux d’antiviraux sur une grippe dont la gravité reste somme toute modeste, ce qui conduirait à ne plus avoir de réserves suffisantes pour faire face à une éventuelle nouvelle pandémie nettement plus agressive. Je pense que n’importe quel stratège serait d’accord pour dire qu’il ne faut pas engager toutes ses forces dans la bataille au risque de découvrir ses arrières…

Que le ministère de la santé n’ait pas voulu s’appuyer sur l’expertise de “simples médecins généralistes” (mis à l’écart tout simplement…) pour faire face à cette crise sanitaire est en soi surprenant… Que ce même ministère de la santé incite les médecins à avoir un comportement de prescripteur inadapté à la situation actuelle est un nouveau désavoeu de leur capacité d’analyse… Tout ceci serait risible s’il ne conduisait à une situation potentiellement dramatique…

1-  http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/nouvelles-recommandations-sur-la-prise-en-charge-des-patients-grippes-10-decembre-2009.html

2- http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/12/10/01011-20091210FILWWW00760-h1n1-mortalite-moindre-que-prevu.php

3- http://www.invs.sante.fr/

 4-http://www.invs.sante.fr/display/?doc=surveillance/grippe_dossier/points_h1n1/grippe_A_h1n1_081209/index.html

 5- http://www.invs.sante.fr/international/notes/ah1n1_monde_250909.pdf

http://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/grippe-h1n1-tous-sous-tamiflu-66580